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Vers une déphalocratisation de la Curie

Par Audrey Barbe

 

“Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus.” (Ga, 3, 28).

Si l’on en croit Saint Paul dans sa lettre aux Galates, ce que la religion catholique aurait apporté aux femmes et aux hommes, c’est une déconstruction des anciennes hiérarchies sociales, dont l’unification dans le Christ fait chair. Mais qu’en est-il de cette soif d’égalité aujourd’hui ?

A première vue, il n’en est rien. Les scandales éclatent et révèlent la triste réalité de la Curie romaine actuelle : travail gratuit ou mal payé, peur de parler, de rentrer dans un jeu de pression, censure et même autocensure des sœurs quant à l’étude de la théologie … Les rapports entre les femmes et les hommes engagés au service de l’Evangile n’ont jamais semblé avoir été aussi inégaux.

Dans un article publié dans le numéro de mars du mensuel féminin de L’Osservatore Romano, intitulé Femmes, Eglise, monde (« Donne, Chiesa, mondo »), sœur Marie s’indigne que les sœurs ne soient que rarement invitées à s’asseoir à la table des personnes qu’elles servent :

« Un ecclésiastique peut-il envisager de se faire servir un repas par sa religieuse, avant de la laisser manger seule dans la cuisine, une fois qu’il a été servi ? Est-il normal qu’une personne consacrée soit servie de cette manière par une autre personne consacrée ? Et cela, sachant que les personnes consacrées destinées au travail domestique sont presque toujours des femmes, religieuses ? Notre consécration n’est-elle pas la même que la leur ? »

Situation d’autant plus révoltante si l’on considère que Jésus lui-même a incité ses apôtres à convier à leur table leurs serviteurs :

« Jésus disait aux Apôtres : ‘’Lequel d’entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite à table’? (…)  Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : ‘Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n’avons fait que notre devoir.’ ’’ ». (Lc, 17,7-10)

Cette invitation à l’humilité de Jésus pour ses disciples semble avoir été oubliée. Hypocrisie des cardinaux? Sans doute. Ramollissement de la justice et de la charité, tant prônées dans l’Evangile? Peut-être. Cette situation embarrassante, le Pape la reconnaît humblement dans une lettre qu’il adresse à la théologienne espagnole María Teresa Compte Grau :

« Je suis aussi préoccupé que, dans l’Eglise elle-même, le rôle de service auquel tout chrétien est appelé, glisse parfois, dans le cas des femmes, vers des rôles de servitude plus que de vrai service. »

Parmi les cinq nouveaux experts nommés samedi 21 avril au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi figurent, pour la première fois, trois femmes, dont la Belge Laetitia Calmeyn, professeur au Collège des Bernardins, à Paris

 

Mais quelles en sont les causes ? Cette inégalité des rapports a-t-elle toujours été présente au sein de l’Eglise catholique ? Est-elle inextricablement liée à son conservatisme réputé ?

Un souffle de clairvoyance semble en tout cas se diriger sur le Pontife, puisqu’il reconnaît dans cette même lettre l’un des principaux systèmes d’oppression perpétué sur les femmes :

« Je suis préoccupé par la persistance d’une certaine mentalité machiste, jusque dans les sociétés les plus avancées, où sont perpétrés des actes de violence contre la femme, la transformant en objet de mauvais traitements, de traite et de lucre, ainsi que d’exploitation dans la publicité et dans l’industrie de la consommation et du divertissement. »

Si cette reconnaissance des inégalités et cette indignation du Pape François face à une situation autant anormale qu’injuste donne de l’espoir, permettra-t-elle une meilleure représentation des femmes au sein de la plus haute instance de l’Eglise ?

C’est en tout cas le souhait du Pontife. Depuis son élection en 2013, il invite des femmes et des laïcs à prendre davantage de responsabilités à la Curie romaine. Seulement, le changement est long et les femmes se font encore rares dans les dicastères, où seules cinq d’entre elles sont à un poste de sous-secrétaire actuellement, plus haute responsabilité qu’une femme peut, pour l’instant, occuper à la Curie.

Mais la bonne volonté du Pape quant à la nécessité d’une plus forte représentation féminine est bien le premier pas pour que ces réformes portent leurs fruits, non seulement à l’échelle de la Curie, mais aussi de toute l’Eglise.

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