Par Charlotte Hourdin

Les résultats sont tombés. Le candidat d’extrême droite du Parti social-libéral (PSL), Jair Bolsonaro, a été élu à la tête du Brésil ce dimanche 28 octobre, recueillant plus de 55% des scrutins. Alors que certains se réjouissent et fêtent leur victoire haute en couleurs, d’autres sont plus dubitatifs. La campagne du nouveau président brésilien n’a pas seulement enflammé les foules et propulsé des feux d’artifices dans les airs, elle a surtout ravivé la voix des minorités brésiliennes indignées par ses déclarations outrancières, exaltant les lignes de fracture du pays.

Parmi elles, nombreuses sont les femmes qui ont exprimé leur désaccord, bien qu’elles soient politiquement sous-représentées. Malgré la mise en place de quotas, le taux de femmes élues reste en deçà des 10%. C’est une tendance de longue date au Brésil. Profondément impliquées dans les mouvements sociaux, leur participation ne s’est pourtant pas pas traduite en légitimité politique. Elles représentent néanmoins 53% de l’électorat et “leurs suffrages sont courtisés lors des scrutins présidentiels”, constate la politologue Rachel Meneguello.

Pour tenter de satisfaire cette frange de l’électorat, Jair Bolsonaro a hasardé une ‘technique de dédiabolisation’ : il s’est notamment affiché avec sa fille et son épouse. Plus récemment, ses partisans ont créé un hashtag et groupe facebook “Femmes avec Bolsonaro”. Ironiquement, la grande majorité de leurs administrateurs sont des hommes. Malgré tout, l’ancien militaire a la plus grande peine à se défaire de son image misogyne qu’il s’est forgée progressivement, alimentée par ses nombreux dérapages.

Lors d’un débat télévisé, il a justifié les inégalités salariales de genre par le fait que “les femmes tombent enceintes”, subtil argumentaire tout comme à son habitude. Par ailleurs, le droit à l’avortement au Brésil est limité aux cas de viol, de mise en danger de la mère et de foetus non viable. Jair Bolsonaro va plus loin et soutient notamment l’interdiction de l’IVG en cas d’agression sexuelle. En 2014, il a déclenché une polémique en lançant à l’ancienne ministre des Droits humains Maria do Rosário : “Je ne te violerai pas parce que tu ne le mérites pas !” Un exemple parmis ses frasques, qui ne l’ont pourtant pas détourné de la victoire.

Face à ces affronts, les brésiliennes ont réagi. D’abord le #Ele Naõ! (“Pas lui!”) puis le groupe facebook “Mulheres unidas contra Bolsonaro” (“Femmes unies contre Bolsonaro”) leur ont permis de se rassembler pour accroître leur portée. Depuis sa création le 30 août 2018, le groupe a pris énormément d’ampleur, porté par sa créatrice Ludmilla Teixeira, féministe noire du Nordeste, figure forte d’intersectionnalité (le fait d’être victime de plusieurs discriminations). Après qu’une de ses administratrice Maria Tuca Santiago ait été agressée à Rio de Janeiro le 24 septembre dernier par trois hommes armés, de nouvelles femmes se sont ralliées à leur cause, décuplant l’audience du groupe jusqu’à atteindre les 3,8 millions de membres aujourd’hui. Cette popularité en a fait la cible de cyberattaques et certaines données personnelles des administratrices ont été rendues publiques. Ce mouvement est surtout à l’origine de l’organisation de manifestations à l’échelle nationale le 29 septembre, huit jours avant le premier tour des élections présidentielles, permettant aux brésiliens et brésiliennes d’exprimer leur mécontentement.

Ludmilla Teixeira a cependant souligné la difficulté de conserver l’esprit non-partisan du mouvement. Elle affirme avoir dû modérer des sympathisants du PT (Parti des Travailleurs), le parti de l’ancien président Lula emprisonné pour une affaire de corruption et principale force politique s’opposant au PSL. Le PT avait en effet accentué les débats sur des problématiques écologiques ou de genre. Le professeur de philosophie Gilbraz Aragao souligne que cela peut partiellement expliquer la défaite de son candidat Fernando Haddad. Selon lui, “on observe un éloignement du PT” qui s’est “désorganisé de sa base” et s’est focalisé sur de tels débats, provoquant un “sentiment d’abandon d’une partie du peuple”, en particulier des familles les plus modestes, son électorat traditionnel.

Le rejet de Bolsonaro varie d’ailleurs en fonction des milieux, même au sein de l’électorat féminin. Il est en effet plus marqué chez les femmes des catégories populaires. D’autres minorités témoignent du même rejet face à ses dérapages non seulement misogynes mais aussi homophobes et racistes.

En février, Bolsonaro avait lancé la menace : “si j’assume le pouvoir, l’Indien n’aura plus un centimètre de terre”. Les terres Indiennes représentent 13% de l’actuel territoire amazonien. Des projets de centrales électriques et de barrages controversés risquent d’accélérer la déforestation de l’Amazonie et le déplacement des populations amérindiennes. Ces confrontations d’intérêts ne sont pas nouvelles. Dès 2012, forces de l’ordre et tribus indiennes se sont opposées autour du projet de construction du barrage de Belo Monte. Des négociations tentant de trouver un accord avec le Funai, la Fondation Nationale de l’Indien, ont eu lieu. Aujourd’hui, Bolsonaro menace de leur retirer leur droit de délimiter leurs terres.

Ce climat d’inquiétude touche aussi les homosexuels. Le Brésil est connu pour sa forte criminalité : 61000 homicides ont été recensés en 2016. La violence a augmenté durant la campagne, et la crainte avec elle. Les paroles de Bolsonaro ont des échos très concrets dans le pays. Raphaël, étudiant en médecine, témoigne : “Moi je suis noir et homosexuel. Quand tu n’as pas le bon profil pour les électeurs de Bolsonaro, tu deviens une cible.”

André Luiz Lobo, un chef d’entreprise noir de 38 ans affirme cependant avoir voté pour l’extrémiste. Il s’identifie au “peuple indigné, exaspéré par la violence et la corruption.” Il ajoute que “c’est la première fois qu’il se sent représenté.” Ce dernier exemple se place en porte à faux avec l’idée première professant un vote de clivage de société et une simple opposition entre conservateurs et progressistes. Il nous porte à considérer l’aspect populiste de l’élection, tout en prenant en compte les particularités de l’histoire brésilienne. André Luiz Lobo représente ce Brésil fatigué et désarmé par la crise économique mais aussi morale, caractérisée par les nombreux scandales de corruption qui ont affecté le pays ces dernières années. Certains brésiliens sont aujourd’hui unis dans la recherche d’une réponse concrète auprès d’une nouvelle classe politique, promettant du changement et surtout la fin de ‘l’ère PT’, malgré la menace qui pourrait peser sur la démocratie. Bolsonaro l’a compris et s’en est servi.

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