À qui appartient cette sécurité que les politiciens déclarent comme sacro-sainte ? Quelles libertés sont considérées comme superflues, tandis que d’autres demeurent fondamentales ? Toute ces questions sont particulièrement pertinentes au débat actuel concernant le Règlement No.604/2013 du Parlement Européen, plus communément connu sous le nom de Règlement Dublin III. Adopté et en vigueur depuis juin 2013, ce texte normatif de l’Union européenne est une continuation du Règlement Dublin II de 2003, et de la précédente Convention de Dublin de 1990. Ces règlements successifs constituent un ensemble qui pourrait être intitulé le système Dublin, et en conséquence, partagent tous un but commun : celui de déterminer le pays dans lequel a été formulée une demande d’asile, et d’inculquer à ce dernier l’entière responsabilité quant à l’instruction et la décision finale sur cette demande d’asile.

Mais au-delà de ces revendications d’efficacité se cache une réalité politique complexe, où les droits fondamentaux de tout immigrant sont négociés, bradés pour la sécurité des citoyens de l’Union européenne, apparement mise en danger par les arrivées de citoyens étrangers dont l’Europe fait l’expérience. Tandis que le Règlement Dublin prétend rétablir un équilibre entre la liberté de mouvement de certains et la sécurité nationale d’autres, les demandeurs d’asiles font les frais des décisions politiques découlant de ce raisonnement erroné. En effet, la procédure Dublin prévoit que, pour chaque demande d’asile, un seul pays membre de l’Union européenne (mis à part le Danemark, auquel le Règlement Dublin ne s’applique pas) soit responsable. En règle générale, ce pays est celui où le demandeur d’asile donne ses empreintes digitales pour la première fois, qui sont ensuite transmises à la base de données EURODAC, afin de faciliter leur comparaison et leur identification. Ceci implique donc que les préférences personnelles des demandeurs ne soient pas prises en compte, et qu’ils soient transférés dans un pays autre que celui de leur choix. Seulement en France, en 2017, plus de 40 000 personnes – soit un tiers de tous les demandeurs d’asile en Europe – ont été ciblées par cette procédure, ont été menacées par un transfert dans un pays où ils n’ont pas décidé d’immigrer, et où ils ne se sentent pas forcément en sécurité. Une fois ce transfert accepté, le pays ayant lancé la procédure a 6 mois pour relocaliser le demandeur d’asile. Durant ces 6 mois, le migrant en question peut être mis sous résidence surveillée (jusqu’à 180 jours d’affilée en France) et est soumis à des rendez-vous jusqu’à deux fois par semaine au commissariat, ainsi qu’à des contrôles d’identité systématiques et invasifs. Ces atteintes à la liberté sont accentuées par la possibilité d’admettre le demandeur dans un centre de rétention administrative. De plus, si un seul rendez-vous est manqué par le migrant, il est déclaré comme étant ‘en fuite’, et le délai de 6 mois en devient un de 18 mois, durant lequel le demandeur d’asile n’est plus bénéficiaire de l’ADA, allocation pour demandeur d’asile qui comprend les conditions matérielles d’accueil. Cependant, il est facile pour un migrant de mal interpréter ou de manquer un rendez-vous administratif au commissariat : par exemple, les convocations de la Préfecture sont souvent formulées de manière menaçante, menant le demandeur à croire qu’il va être déporté s’il se rend au rendez-vous. Ceci viole au plus haut point la sécurité des demandeurs d’asile : en effet, la convergence de la loi Française et du Règlement Dublin dépouille le demandeur d’aide matérielle, le forçant à se mettre en danger afin de satisfaire ses besoins primordiaux.

Par ailleurs, ce système demeure inefficace et inadéquat en ce qui concerne la sécurité européenne, si l’on suppose que c’est son objectif. Le flux migratoire, qui diminue largement depuis son paroxysme en 2015, est souvent interprété par les politiciens comme une faille dans la sécurité frontalière de l’Union européenne, mettant en danger les métiers de ses citoyens ou souillant les valeurs nationales des pays membres. Toutefois, même si l’on considère les immigrants comme constituant un véritable danger à la sécurité et à l’intégrité des frontières d’Europe, le Règlement Dublin III persiste dans sa contre-productivité. En imposant la responsabilité sur les premiers pays d’arrivée, qui sont majoritairement des pays frontaliers tels que l’Italie ou la Grèce, le règlement contraints ces points chauds de migration à adopter une législation plus stricte, et des contrats bilatéraux encourageant la violence et l’instabilité. Une étude de 2017 du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a montré que la plupart des pays membres sont enclins à ignorer la hiérarchie des critères nécessaires afin de déterminer le pays responsable, et à mettre de côté les critères concernant la famille du demandeur d’asile présente dans l’Union européenne. Ceci est rendu possible car dans sa structure-même, le système Dublin offre aux pays membres un moyen de détourner le plus de migrants possible. ainsi, l’objectif de répartir équitablement les arrivées afin d’assurer la sécurité des bordures nationales n’est qu’une façade. Une façade qui est, tout au plus, inefficace : en 2017, le ratio transfert/demande était entre 53,1% (Bulgarie) et 4% (Malte). Non seulement le but fixé par le Règlement Dublin n’est qu’une couverture pour des objectifs plus politiques, mais il est aussi non-atteint, dans tous les sens du terme.

La seule réussite du Règlement Dublin III, c’est celle d’avoir bafoué les libertés fondamentales de milliers de migrants, pour rien de plus que la satisfaction d’une poignée de craintifs. Ce dont l’Union européenne a désormais besoin, ce n’est pas d’un Règlement Dublin IV, mais d’un changement plus profond avec la mise en place d’un agenda commun basé sur la solidarité et le partage équitable de responsabilités, car en dépit de ce qu’on peut parfois lire dans les journaux, toutes libertés et sécurités sont sacro-saintes.

 

Cover illustration by Isabelle Yang @The Sundial Press. 

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