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Jacques Chirac : décès, hommage… et hypocrisie ?

By October 10, 2019 No Comments

Ava Luquet

 

26 Septembre 2019. Toutes les rédactions de France s’affairent à changer la une de leur journal, à chercher des journalistes pouvant leur écrire un article de dernière minute, à en trouver d’autres pouvant se déplacer pour faire des interviews : Jacques Chirac est mort. L’ancien maire de Paris, président du RPR, premier ministre et président de la République fait couler l’encre.

Le lundi 30 septembre est déclarée journée de deuil national, et une minute de silence est observée dans toutes les institutions publiques. 

Jacques Chirac est présenté comme une personnalité appréciée de toutes et de tous. “Que nous partagions ou non ses idées, ses combats, […] nous nous reconnaissions tous, en cet homme qui nous ressemblait et nous rassemblait” résume ainsi le président Emmanuel Macron dans son discours d’hommage. 

Cette phrase résonne en nous non seulement parce qu’elle fait preuve du respect que nous devons à cet homme après sa mort, mais aussi parce qu’elle nous semble plutôt vraie. Que l’on soit d’accord ou non avec ses idées politiques, on se représente Chirac comme un personnage sympathique, parfois même “cool”, les mains dans les poches, sautant les portillons du métro parisien ou au volant d’une décapotable en Corrèze.

Cependant, Jacques Chirac est aussi connu pour ses prises de position marquées et ses formules choc. Les phrases comme “Notre maison brûle… et nous regardons ailleurs” ou encore “La France, ce jour-là accomplissait l’irréparable”, restent gravées dans nos mémoires, symboles d’un homme charismatique et fort. “Jacques Chirac, une carrière politique exceptionnelle” titre même Le Monde.

En superposant ces deux images, nous obtenons un homme qui représente les idéaux et valeurs français, et dans lequel on se plaît à s’identifier… jusqu’à un certain point.

Le 15 décembre 2011, Jacques Chirac est condamné à deux ans de prison avec sursis pour « détournement de fonds publics », « abus de confiance », « prise illégale d’intérêts » et « délit d’ingérence ». Dès la fin des années 1990, son nom est fréquemment mentionné dans plusieurs affaires judiciaires, pour lesquelles il refuse cependant de témoigner, en raison de son immunité présidentielle. Il devient le premier président de l’histoire de la Ve République à être condamné en justice. À l’époque, peu de journaux mentionnent ces scandales, et quand bien même ils le font, beaucoup de français considèrent M. Chirac plus comme un “filou” que comme un “escroc”. 

Aujourd’hui encore, une minorité de journaux parlent de ces affaires de manière négative. Au journal de 20h du jour de la mort de Chirac, ces affaires ne sont mêmes pas évoquées. Comment se fait-il qu’il soit exigé en 2019 de tous les membres du Gouvernement d’Edouard Philippe et de tous les responsables publics de publier leurs déclarations de patrimoine sur le site de la Haute Autorité pour la transparence de la Vie Publique, mais que des affaires passées aussi conséquentes ne soient pas abordées dans une grande partie des journaux, ou seulement de manière très brève ? Comment est-ce que la presse, qui chaque jour assaille le président Emmanuel Macron de propos lancinants au nom de la vérité et du droit à l’information, n’évoque ces affaires qu’avec très peu d’insistance ? 

Les moeurs et habitudes ont bien évidemment changé depuis l’époque à laquelle Chirac était au pouvoir. L’habitude a été prise depuis, surtout à partir de l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007, de contredire de manière très appuyée le président en place. Cela peut être critiqué, mais a au moins le mérite d’exercer le contre-pouvoir dont la presse est chargé. 24 ans ont passé depuis l’arrivée de Chirac au pouvoir. Ces années se ressentent dans la manière de parler du Président et de son gouvernement actuels. Pourquoi ne se ressentent-elles pas dans la manière de parler de Chirac ?

Alors oui, certes, cet homme mérite notre hommage et respect posthume pour tout ce qu’il a accompli pour la France. Mais n’est-il pas hypocrite que d’utiliser la mort d’une personne comme prétexte pour ne pas la critiquer ? Il est beau de se berner dans ses espoirs de “La France, c’était mieux avant”, ou encore de “Ah, la politique, c’est plus ce que c’était !”. Mais cela ne nous mènera à rien pour le futur. La confiance que l’on a accordé à Jacques Chirac lorsqu’il était président, et que l’on continue de lui accorder même mort, ne doivent pas nous aveugler dans l’analyse de ses années en politique. Il a pris des décisions très importantes pour la France, certes. Mais ses successeurs également. Ne laissons pas notre nostalgie nous faire perdre l’objectivité et la cohérence de nos idées et combats.

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