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Josep, un film d’animation pour ne pas oublier.

By November 11, 2020 No Comments

Février 1939, 450 000 immigrés tententant de fuir la montée nationaliste dans leur pays pour se réfugier en France sont accueillis… dans des camps de concentration.

Non, je ne parle pas de la communauté juive mais bien des réfugiés républicains espagnols.

La Retirada ça vous dit quelque chose ?

Non ? Ne culpabilisez pas, j’ai vérifié, cette épisode ne figure pas dans le programme scolaire d’Histoire en France. Ni à l’école primaire, ni au collège, ni au lycée.

Du coup, si vous n’avez pas fait LV2 Espagnol, que vous ne vivez pas dans les Pyrénées-Orientales comme moi ou que vous n’êtes jamais tombé sur l’un des rares documentaires abordant la Retirada à la télé, il y’a de fortes chances pour que vous n’en ayez jamais entendu parler.

D’ailleurs, depuis que j’ai commencé à rédiger cet article, le mot « Retirada » est souligné en rouge par le correcteur tandis que les termes « Diaspora » ou « Shoah » ne le sont pas, preuve du manque de médiatisation de cet évènement historique.

Heureusement, à défaut d’avoir découvert la Retirada dans les salles de classe, vous pourrez vous rattraper en vous rendant dans les salles de ciné ( dès leur réouverture évidemment) .

Les réalisateurs n’ont pas la prétention de transmettre des connaissances historiques plus pertinentes que les professeurs à travers leurs œuvres. Pourtant, leurs films peuvent permettre de mettre en lumière des fragments du passé qui ont tendance à sombrer dans l’oubli, et ainsi, se transformer en véritables objets de mémoire.

C’est le cas du film d’animation Josep réalisé par le dessinateur Aurel, sorti le 30 septembre 2020 au cinéma.

Je n’avais aucune autre information sur ce film lorsque j’ai décidé d’aller le voir la semaine dernière et pour dire la vérité, j’ai reçu deux places gratuites par la poste donc, même masquée, la cinéphile que je suis n’a pas hésité une seconde pour me rendre en salle.

D’ailleurs, elle était relativement pleine, majoritairement de familles et de personnes âgées. Je crois que mon amie et moi étions les seules étudiantes, c’est dommage. Les publicités passent, les lumières s’éteignent et la noirceur fait son apparition à l’écran, sous les traits de trois hommes errant dans la neige.

Dès le prologue, l’esthétique des personnages interpelle, dérange même. Leurs mouvements sont saccadés, leurs yeux hagards. Les miens sont rivés sur cette première scène, violente et sanglante.

Les premières voix s’élèvent : des gendarmes français s’adressent aux hommes qui répondent en espagnol et en catalan. Ce concert dissonant résonne depuis les Pyrénées jusqu’à Reims, faisant écho à une montagne de souvenirs en moi : ce film parlera donc de la Retirada.

Pas de panique si ce terme est toujours flou pour vous, ne cherchez pas sur internet, petite mise en contexte.

1936, Espagne. Le gouvernement progressiste de la seconde République, au pouvoir depuis seulement 5 ans, est renversé par un coup d’Etat militaire. Tous les espoirs de liberté des citoyens, notamment des femmes qui ont acquis depuis peu le droit de vote, sont anéantis par l’insurrection menée par le général Francisco Franco. S’en suit une guerre civile opposant pendant plus de 3 ans les troupes Nationalistes à l’ensemble des partis de Gauche, des socialistes aux anarchistes, synthétiquement surnommés les Républicains. La célèbre toile de Picasso, Guernica, représente d’ailleurs l’une des évènements les plus meurtrières de ces trois années d’affrontements.

Le 26 Janvier 1939, Franco assiège la ville de Barcelone, dernier bastion des Républicains, qui n’ont d’autre choix de se soumettre ou de fuir pour échapper à la mort. Ainsi, près d’un demi-million de réfugiés politiques traversent la chaîne des Pyrénées, en plein hiver, pour trouver l’asile de l’autre côté de la frontière. Cependant, comme l’illustre parfaitement le film d’animation, les républicains sont loin d’être accueillis à bras ouverts en France.

En effet, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, le Gouvernement d’Edouard Daladier publie un série de décrets hostiles aux immigrés étrangers le 12 Novembre 1938, instaurant « l’internement des étrangers indésirables dans des centres spécialisés (…) dans l’intérêt de l’ordre ou de la sécurité publique ». Bel euphémisme pour annoncer la création des camps de concentration.

Cependant, dans leur précipitation nationaliste, les autorités n’ont pas anticipé la vague d’immigrés espagnols, qui se retrouvent parqués sur les plages de la méditerranée, en plein mois de février, dans des clôtures de fils barbelés sur le sable, comme bétail, des animaux.

La faim, la soif, le froid, les maladie, la perte de repères, la barrière de la langue, la xénophobie des gendarmes français; toutes ces problématiques, endurées par les réfugiés, sont représentées dans le film sans détour, comme un uppercut.

Ici, le choix de l’animation prend tout son sens. Plus que montrer l’horreur de leur condition, les dessins la caricaturent, mêlant l’onirique au réalisme, le concret à la métaphore. Les visages creusés et ternes des espagnols contrastent avec les joues roses et potelées des gendarmes, odieux, apparaissant parfois sous les traits de cochons. Il y’a aussi les tirailleurs sénégalais, méprisés mais craints par les gendarmes, craints mais respectés par les espagnols. Voici la relation hiérarchique entre ces êtres, dont l’Humanité s’est évaporée comme de l’écume sur les plages de la Méditerranée.

Pourtant, loin de tomber dans le manichéisme, le réalisateur illustre surtout la dualité de chaque communauté, de chaque individu. Les républicains sont socialistes, anarchistes, des hommes dépressifs, des danseurs de flamenco. Les tirailleurs sont silencieux mais tressent des potences pour calmer leur haine envers les gendarmes métropolitains. Ces deniers n’ont pas tous perdu leur humanisme heureusement.

Il y’a des camps dont on est physiquement prisonniers et d’autres qu’on est libre de choisir. L’uniforme des gendarmes n’est pas synonyme de conformité, Serge en est l’exemple.

Ce gendarme, un jeune Bleu, se lie d’amitié avec l’un des réfugiés espagnols, Josep, qui extériorise ses traumatismes en dessinant sur le sable. Emu, Serge lui offre un crayon et du papier, une attention anodine en apparence, qui va pourtant s’avérer décisive dans le destin des deux Hommes. En effet, les deux individus, que tout oppose tisseront une relation mutuellement salvatrice.

Pourtant, en refusant de jouir de son droit de maltraiter les réfugiés, fait-il preuve d’héroïsme ou commet-il un acte simplement humain ?

« Je n’étais pas un héros Valentin ! C’était lui le héros, moi je n’ai fait que désobéir aux ordres ». 

C’est ce qu’explique Serge, désormais âgé,  à son petit-fils Valentin, qui l’écoute raconter ses souvenirs douloureux à son chevet.

Ce film est l’Histoire d’un témoignage, celui d’un grand père que plus personne n’écoute, qu’on laisse se morfondre seul dans sa chambre remplie de vieilleries. De ce papi gâteux, ronchon, qui perd la tête, qui ne reconnaît plus sa famille, qui n’intéresse plus personne.

Ce film est l’Histoire d’un adolescent perpignanais, de notre époque, condamné à s’ennuyer un après-midi avec son vieux papi, qui va pourtant lui enseigner la plus belle, la plus dure des leçons de vie. Traits par traits, Serge retrace les contours de sa mémoire et transmet à Valentin son expérience de la Retirada, dans l’autre camp, celui des français.

Ce film est l’Histoire d’un horrible portrait, d’un visage déformé par la douleur, encadré dans la chambre de Serge. Le visage d’un des réfugiés républicains que l’ancien gendarme a côtoyé dans les camps, esquissé par Josep. Le dessin est effrayant par son expressivité, poignant par sa monstruosité, d’autant plus terrifiant lorsque que spectateur découvre qu’il est bien réel, qu’il s’agit d’un vrai vestige de la Retirada.

Car ce film est aussi l’Histoire de Josep Bartoli, dessinateur espagnol, fondateur du syndicat des dessinateurs républicains espagnols, qui a fui le franquisme pour se réfugier en France, avant de devenir un artiste mondialement célèbre.

Né en 1910 à Barcelone, Josep a 29 ans lorsqu’il fuit son pays, en quête de liberté. Il est pourtant parqué sur la plage, comme les autres, comme un rien, pendant plus de 4 ans. Comme dans le film, Josep ne cesse de dessiner, les camps, les femmes, ses peurs, les gendarmes, ses camarades, les morts, sa vie. Ballotté d’un camp à un autre, il tente de s’échapper de celui de Bram avant d’être arrêté par la Gestapo en 1943 et déporté vers les camps d’extermination avec les détenus Juifs. Pourtant, cette fois, il réussit à s’évader définitivement, en sautant du train en marche. Aidé par les résistants français, il réussit à traverser l’Atlantique et s’installe au Mexique. Là-bas, il se fait un nom dans le milieu artistique florissant, loin de l’horreur de son passé en Europe et devient même l’amant de Frida Kahlo, qui fait quelques apparitions dans le dessin animé. Les collages de l’artiste sont exposés au MOMA en 1949 tandis que ses dessins des camps sombrent peu à peu dans l’oubli, au même titre que la Retirada, qui disparaît de la mémoire collective pendant la dictature de Franco.

Pourtant, à partir de 1975, après la mort du général en Espagne, les victimes de la Retirada osent peu à peu briser le silence autour de leur passé et relatent progressivement leurs souvenirs de cet évènement. En 1989, le dessinateur Catalan offre 116 dessins illustrant la Retirada à la Mairie de Barcelone, participant ainsi à la reconstruction progressive de la mémoire des réfugiés.

Ainsi, le témoignage de Josep Bartoli, décédé en 1995 n’est plus voué à sombrer dans l’oubli. En parallèle de la sortie du film, le neveu de l’artiste a fait don de 270 dessins de l’artiste au Mémorial de Rivesaltes, situé dans les Pyrénées-Orientales. Cet ancien camp militaire, transformé en camp de concentration pour les immigrés et les Juifs à partir de 1941, est devenu un mémorial de la Retirada en 2015.

Si vous avez l’occasion de vous rendre dans le sud de la France, je vous recommande donc de prendre le temps de découvrir les dessins de l’artiste et d’apprendre davantage sur l’Histoire de la Retirada.

Autrement, en cette période de Coronavirus dans laquelle il est plus difficile de voyager, je vous suggère vraiment d’aller voir Josep au cinéma ou en VOD. Il s’agit d’un film nécessaire, qui vous touchera tous d’une façon ou d’une autre.

Vous serez bouleversés par l’amitié entre Serge et Josep.

Touchés par la relation entre le grand-père et son petit-fils.

Révolté par les rapports inhumains entre les personnages, par les insultes sans détours.

Marqués par l’esthétique du film, par les paysages magnifiques comme les visages blafards.

Enveloppés par le mélange d’Espagnol, de Catalan et de Français, par les chants et les scènes de flamenco.

Peut-être un peu honteux, aussi, d’avoir ignoré l’Histoire de la Retirada jusqu’ici.

Il ne faut pourtant pas culpabiliser, il n’est jamais trop tard pour honorer son devoir de mémoire.

Et c’est peut-être le message final de cette œuvre.

Ne laissons pas nos ailleurs mourir en emportant les secrets de leur passé avec eux. Nous connaissons tous cette personne âgée que l’on écoute plus, « qui ne sait plus ce qu’il raconte ». Ce grand-père, cette mamie, ce vieux voisin dont les stigmates du passé sont si douloureux qu’ils sont devenus indicibles. Alors ils se taisent, et font faner leurs souvenirs, leurs mémoires, et ne laissant qu’un terrain des reliques vagues, des « vieilleries », des brins d’histoire que l’on ne sait pas cueillir.

Mon arrière-grand-mère était une républicaine espagnole. Elle a fui le franquisme avec son enfant avant d’être parquée sur les plages Catalanes. La Retirada fait partie de l’Histoire de ma famille. Je le savais depuis longtemps, ma mère m’avait un peu expliqué mais je me suis aperçue de mon ignorance lorsqu’au collège, pendant un cours d’espagnol, notre prof a abordé le thème de la Retirada et que je n’ai pas su expliquer quoi que ce soit à propos de cet évènement.

Alors, j’ai essayé de comprendre. J’ai demandé à ma mamie de me raconter son enfance et de me parler du périple de sa mère. Nous avons pris le temps d’en parler, longuement, puis une autre fois, puis encore une autre. Finalement je me suis aperçue de la densité de ses souvenirs, encore chargés d’émotion et plein de détails. Peut-être un peu romancés, mais après tout, la mémoire ne prétend pas remplacer les faits. Je lui ai donc suggéré de l’écrire, pour ne pas oublier, car je sais qu’il y’a des choses qu’elle n’a pas eu la force de me dire mais qu’elle aura probablement besoin de relater quand le moment sera venu. Ses souvenirs sont les clés d’un trésor, de l’Histoire de notre passé, de notre identité.

Alors si un jour, vous avez l’occasion, de vous asseoir auprès de la personne âgée à laquelle vous pensez, en lisant ces lignes, qui recèle de souvenirs qui vous sont inconnus, surpassez l’appréhension de la blesser, de la tourmenter, essayez, osez lui parler, brisez le poids du silence, c’est important.

 

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