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Tiktok: pour et surtout contre toi

By February 15, 2022 No Comments

par Mélia Blanchard

Tiktok, célèbre réseau social créé en 2016, comptabilise aujourd’hui près de 800 millions d’utilisateurs à travers le monde. Derrière son concept anodin de création de vidéos courtes allant du playback à la chorégraphie, l’application est devenue un véritable phénomène sociétal dont l’influence grandissante est palpable dans nos vies de tous les jours. L’application a réussi à créer un engouement tel, qu’il peut s’apparenter à de l’addiction en privant ses utilisateurs de réfléchir, et voici comment.

 

En quelques années TikTok s’est imposé comme le réseau social de référence, à la genèse de multiples tendances. La recette magique de TikTok est simple : des vidéos courtes, d’en moyenne 15 secondes, que l’on peut faire défiler à l’infini. Ce réseau social ne pouvait que fonctionner tant il correspond à la dynamique consumériste de notre époque ; on prend, on jette si cela ne nous plaît pas et on recommence avec une facilité déconcertante. Ici il n’y a même plus besoin de faire d’efforts, le contenu vient à nous grâce à des algorithmes, les vidéos sont courtes dans l’unique but de ne pas nous lasser et éviter de nous faire réfléchir. De plus, avec TikTok la frontière entre l’acteur et le spectateur est poreuse tant la barrière pour devenir créateur de contenu se franchit facilement : il est aisé pour tout le monde d’en comprendre les rouages pour créer une vidéo courte. Cette facilité d’usage, une fois de plus, rend l’expérience du consommateur moins contraignante. Puisque tout vient à lui et qu’il se laisse guider, il revient inlassablement sur l’application. TikTok met tout en œuvre pour nous inciter à rester sur son application en limitant au strict nécessaire toutes mobilisations de nos capacités de réflexion. 

 

Outre la stratégie mise en place par TikTok pour fidéliser encore plus les utilisateurs, les codes mis en place par les Tiktokers eux-mêmes tendent vers une absence de réflexion, une uniformisation des utilisateurs qui proposent le même contenu et un besoin chronique de revenir sur la plateforme. Comme dans tout nouveau groupe social, il faut s’en approprier les codes pour y appartenir. TikTok ne déroge pas à la règle mais une nouvelle donnée rentre en compte, à l’instar d’Instagram, c’est l’approbation de ses pairs grâce aux likes. Il ne suffit plus de poster une vidéo qui correspond à la trend, en d’autres termes la tendance du moment, il faut qu’elle “perce”, qu’elle apparaisse dans les “pour toi” (la page de recommandation), qu’elle fasse le buzz. On assiste dès lors à une uniformisation des contenus qualifiés de “viraux” tant ils sont reproduits, une uniformisation qui s’étend au-delà des frontières de l’application. Tout le monde écoute les mêmes musiques popularisées par l’application, veut tester la dernière astuce tendance, veut essayer la nouvelle recette qui a la cote, veut faire la nouvelle coupe de cheveux populaire grâce à une énième trend, veut reproduire la même blague sur l’audio du moment ou veut montrer son haul de la marque “SheIn” par exemple. En résumé, tout le monde veut faire la même chose en même temps pour ne pas quitter le mouvement effréné des trends. Cette quête sans fin pour ne louper aucune tendance et rester dans “l’air du temps” nous empêche de prendre du recul, de se couper de TikTok et de laisser place au véritable soi. L’application a le pouvoir de rendre tout le monde célèbre à partir d’une vidéo de 15 secondes. Cela s’apparente en quelque sorte à une loterie du succès et ce paramètre a été saisi par nombre d’utilisateurs qui attendent leur tour et pour qui poster une vidéo n’est plus quelque chose que l’on prend à la légère. On assiste dès lors à une professionnalisation d’une activité à l’origine récréative. L’approbation et les quelques commentaires d’amis ne suffisent plus, il faut que le compteur de vues et celui des likes s’emballent pour obtenir une réelle satisfaction. Les effets psychologiques de la plateforme sur les utilisateurs est sans conteste dramatique, mais l’exposition des plus jeunes à ce genre de perversion est alarmante. Comme leurs pairs plus âgés, les jeunes veulent reproduire ce qui est populaire sur le réseau social même si cela implique de se mettre en danger ou de poster des contenus dénudés. L’hypersexualisation des jeunes est problématique car elle s’installe comme une norme et permet à des utilisateurs mal intentionnés de profiter de la naïveté des jeunes utilisateurs à des fins criminels comme la pédopornographie.   

Malheureusement, l’aspect mentalement nocif n’est pas le seul problème.  L’endormissement des utilisateurs peut être utilisé à des fins électorales. En effet, quoi de mieux que l’application TikTok comme vitrine des élections présidentielles pour parler aux jeunes ? Les candidats à la présidentielle l’ont bien compris : pour une stratégie de communication efficace, le passage par TikTok est obligatoire. Pour ce faire, la recette est simple. Il faut s’approprier les codes de l’application, les trends, les clashs et l’humour. Certaines personnalités politiques excellent dans cet exercice. Parmi les politiques influenceurs, il y a le Président de la République qui a décidé d’être un président accessible, il se filme en tee-shirt, organise une FAQ (foire aux questions) en se filmant lui-même. Dans son gouvernement, le ministre des Transports crée le buzz en multipliant les TikToks à la pointe des trends pour promouvoir les actions de son ministère. Mais comme sur tout réseau social, il existe des guerres entre influenceurs et Jean-Luc Mélenchon s’impose comme le maître dans l’art du clash. Il n’hésite pas à caricaturer ses adversaires comme Eric Zemmour à l’aide de “memes” ou bien d’extraits de chansons de rap. Cette consommation de contenu politique sans prévention peut s’avérer dangereuse. Il n’est pas toujours naturel de regarder des TikToks de personnalités politiques avec le recul et l’esprit critique nécessaire lorsque ces derniers se trouvent entre deux vidéos plus légères comme des challenges de danse. Or aucun TikTok n’est fait de manière anodine, dans le but de seulement amuser les abonnés. De plus, les contenus sont courts, ce qui ne permet pas d’étayer pleinement le programme, d’expliquer réellement les choses. En outre, le danger pour la démocratie est qu’en s’appropriant les codes des utilisateurs, les candidats dégagent une certaine sympathie et installe une proximité avec un électorat jeune, ce qui peut se traduire au moment des élections par un vote en fonction du capital sympathie du candidat et non du programme et des idées défendues.

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