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La censure reflète le manque de confiance d’une société en elle-même.

« La censure reflète le manque de confiance d’une société en  elle-même. » – Potter Stewart.

Par Ilona Mayerau-Lonné

Censure est tel le Diable : partout et nulle part, insaisissable et  matérielle. Finir par nous faire croire qu’elle n’existe pas, c’est en cela que  réside sa plus grande force.  

Pourtant, Censure est bien réelle. La mauvaise est née à Paris un jour  pluvieux sous le règne de Louis XIII, fille de l’Inquisition. Elle maîtrise  l’art de percer à jouer les intentions les plus malveillantes qui séjournent, à  la vue de tous, dans les œuvres littéraires. Elle surprend même l’écrivain  en accusant son œuvre. Elle est capable de tout : trouver une injure à la morale politique dans le mot bonheur, un affront à la question éthique dans  la joie, un outrage à la loi naturelle dans le pardon.  

« Censurez ! Censurez ! » clame-t-elle haut et fort. Pour elle, cela ne  sera jamais assez. Elle reste persuadée qu’une allusion perfide se cache  derrière la moindre syllabe Une allusion engendrée par des esprits aussi  pervers les uns que les autres, selon ses dires. Le censeur est à son service :  il s’empresse de couper les mots, d’échancrer les phrases, de blesser les  adages. La Censure et son armée de censeurs frappent, habilement, là où  on ne les attend pas car ils détiennent leur propre devise : « les allusions  les mieux dissimulées sont les plus dangereuses »1.  

Censure est ridicule, bête, arbitraire. Son ennui pourrait se résumer  en quelques mots : elle est incapable de comprendre qu’elle est incapable.  La pauvre, elle nous ferait presque pitié de par son manque cruel  d’efficacité. Elle tente de stériliser l’art (et les artistes au passage) sans être  capable de déterminer ses propres critères. Elle est injuste, ne tient pas  compte de la qualité. Oui, l’armée des censeurs est bien un bataillon  d’aveugles inaptes qui se croient pourtant pourvus d’une vision  omnisciente. Censure est fauchée, bien plus que ses sœurs cadettes Bêtise  et Médiocrité. Son seul amant occasionnel est Dictature et dans leur  relation réside son plus grand secret : elle est aussi infertile qu’un désert  craquelé.  

Il est important de savoir que Censure n’est jamais bien loin de  Société, plus ou moins, selon les âges et les espaces. Société change,  évolue, progresse, régresse, un pas en avant, trois en arrière. La question  nous vient à l’esprit, évidente : Censure et ses Censeurs sont-ils plus  robustes lorsque Société manque de confiance ? 

Ce n’est pas Lewis Carroll qui dira le contraire. En effet, le pays des  merveilles de la jeune Alice ne ressemble en rien à la Chine puisqu’elle en  fut bannie en 1931. Le gouvernement jugea obscène de faire parler des  animaux à la manière des humains, désastreux de placer des bêtes au même  niveau que les hommes. N’est-ce pas là la preuve d’un manque de  confiance et de discernement de Société, d’une peur irrationnelle des  hommes qu’elle héberge envers les animaux ? Ma réponse est oui. 

Pour citer un exemple plus contemporain : notre cher Harry Potter a beau  nous avoir jeté plus de 500 millions d’exemplaires de sorts, il fut pourtant  rejeté et interdit dans plusieurs écoles canadiennes. Société subissait alors  une dure pression de la part de Censure, elle-même soutenue par des  familles chrétiennes. La vision de Censure fut simplement la suivante : le  jeune sorcier avait le malheur de vanter des mérites maléfiques,  nécromantiques. N’est-ce pas là la preuve d’un manque de confiance et de  discernement de Société, d’une peur irrationnelle des hommes qu’elle  héberge envers la sorcellerie ? Ma réponse est oui. 

Charles Baudelaire n’osera pas me contredire. Son œuvre fleurie par la  douleur retint toute l’attention de Censure en 1857, lorsque Presse la jugea « immorale ». Ils furent au nombre de six. Six malheureux, six infortunés,  six désespérés, six poèmes retirés de l’œuvre originale et finalement  réintégrés, acclamés et approuvés en 1949. N’est-ce pas là la preuve d’un  manque de confiance et de discernement de Société, d’une peur  irrationnelle des hommes qu’elle héberge envers leurs propres émotions ?  Ma réponse est oui. 

Finalement, si lorsque Société manque de confiance, Censure  épargne les corbeaux de Bêtise et s’acharne sur les colombes d’Art, des représailles je préfère mille fois subir, quitte à en souffrir. 

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