L’entretien réalisé par Elena SCHALL & Adèle LAVALAYE 

Adèle et moi, on s’est rencontrées pendant la semaine d’intégration, et la première fois qu’on s’est vraiment ambiancées ensemble, c’était à la barnight du BDA aux Vieux de la Vieille, sur un son iconique du Seize—16 Tape. Là, c’est bon, on a compris qu’on allait bien s’entendre. Et depuis, le Seize c’est vraiment une asso qui nous plaît, donc on voulait la découvrir un peu plus. Pour vous, on a interviewé les co-présidents, Joss et Luka.

Mais c’est quoi le Seize en fait ?

Bon, je prends la relève. Moi, c’est Adèle. Comme l’a dit Elena, le Seize, c’est le point de départ de notre amitié. Mais au-delà de forger une rencontre entre deux meufs fraîchement arrivées à Reims, l’asso a un but : promouvoir « le rap et la culture urbaine qui débarquent à Sciences Po Paris, campus de Reims. » Et même si ça fait que quelques années qu’elle existe, elle se revendique déjà comme « l’asso préférée de ton asso préférée. »

Bon, c’est bien beau tout ça, mais pourquoi ce nom-là ? Désolée de décevoir les bobos de la capitale, aucun rapport avec l’arrondissement du Trocadéro. En fait, ça correspond aux couplets de rap. Un couplet de rap correspond généralement à 16 mesures, d’où le numéro phare de l’asso.

Mais du coup le Seize, en gros, c’est une asso de soirées ? Comment dire… Oui. Depuis sa création, l’asso a cette optique de partage du genre musical qu’est le rap et de toute la culture qui l’accompagne, et quoi de mieux que des events comme la Trap House ou le TurnUp pour montrer que le rap c’est vraiment un art divers qui comprend une multitude de styles (rap US, rap conscient, rap hardcore…). Pour la première fois, avec le TurnUp, le Seize se lance dans une collab avec Soundsystems, l’association de musique électro. Le but de la soirée est de mettre en avant les DJ sets et les personnalités des six DJs, Thomas, Jack, Louis, Céline, Aaron, et Luka. Pour Joss, c’est un peu comme une pièce de théâtre en six actes, qui a permis à ceux qui étaient à l’Épicerie le 12 février de s’ambiancer, de danser et d’apprécier la musique. Et pour couronner le tout et clore les débats sur les prix des soirées, qui ont largement animé YikYak au premier semestre, c’est une soirée gratuite, la seule contrainte étant le nombre de places.

Mais le Seize, c’est aussi une asso qui veut éveiller la curiosité, servir de tremplin entre des artistes un peu moins connus et les sciencepistes, et ce notamment par le biais des « sorties de la semaine » ou du podcast « Ça vient de sortir. » Parce que c’est bien d’écouter « Elle pleut » en boucle toute la journée, mais y a aussi plein d’autres jeunes artistes talentueux à découvrir. Enfin, le Seize c’est aussi encourager les étudiants à montrer et partager leur intérêt et leur talent en termes de rap, à faire kiffer les autres, que ce soit à travers l’Open Mic ou les Colors.

Mais alors, c’est quoi les Colors ? 

Les Colors du Seize s’inspirent de l’émission A Colors Show, une série de vidéos sur YouTube enregistrées dans un studio implanté à Berlin. En invitant depuis 2016 des artistes de pays différents, le but du COLORS est de faire découvrir des styles et des cultures variées, d’où la devise All COLORS, no genres. On y a vu passer entre autres Angèle, Lomepal, et Billie Eilish. Au Seize, le concept reste le même : un artiste, un cube, une couleur, un campus. Cette année, pour la deuxième édition des Colors du Seize, les étudiants du campus de Reims devront d’abord voter pour sélectionner les deux artistes qui représenteront les programmes EURAF et EURAM dans la compétition inter-campus. Les présidents du Seize nous rappellent l’esprit plaisant de la compétition qui tourne autour de la punchline et de l’ego trip (qu’ils connaissent tous les deux un peu trop bien). La rivalité entre les campus a vraiment un aspect fédérateur qui renforce l’esprit de campus, donc on compte sur vous pour soutenir nos représentants. En tout cas, une belle occasion pour calmer Sciences P’Octogone à Nancy.

Mais au fait, est-ce qu’on peut rapper si on vient pas de la rue ?

Bah ouais. Être à la fois rappeur et sciencepiste c’est l’essence même du Seize. Il faut arrêter de croire les clichés qui nous disent qu’il faut venir de la cité pour rapper. La crédibilité, c’est une question de talent : « pour rapper tu peux tout acheter sauf la crédibilité, » (pour ceux qui ont pas la réf, ça vient de 16 Tape). Ce qui compte vraiment c’est que chacun raconte son vécu, peu importe d’où il vient. « Y a des rappeurs qui font des sons incroyables qui racontent leur vécu, bah nous on a un vécu différent et donc on raconte autre chose. » C’est ça qui crée la diversité du rap. Et « si tu kiffes pas t’écoutes pas et puis c’est tout, » nous rappelle Luka avec les mots de Booba et Ali du groupe Lunatic. Y a pas de critère de sélection pour faire du rap. Ou plutôt, si, y en a un : kiffer. Tout ça, sans oublier de se respecter soi-même, respecter les autres et respecter ce qui a été fait avant nous.

Dans l’esprit découverte, et pour ceux qui connaissent pas encore leurs classiques, on vous en dit un peu plus sur les présidents du Seize et sur leurs sons.

Leurs noms de scène, ils viennent d’où ?

Luka The MC, pourquoi ? Mis à part le fait qu’il y avait déjà un Luka sur Spotify, c’est une façon de se créer un personnage et de jouer avec différents visages. Certains ont même pu rencontrer Luka The DJ au TurnUp. En tout cas, comme il « adore le rap pur et dur, le rap pour le rap, » il fait aussi un petit clin d’œil à la genèse du rap et aux emcees, les masters de ceremony dans les années 80-90, « des mecs qui parlaient ou qui chantaient sur ce que foutait le DJ derrière. »

Et JO2S ? Pour faire court, ça vient de son surnom, Joss, parce qu’il fallait un blaze un peu plus street-cred que Josselin (c’est cool la Bretagne mais faut pas abuser non plus). C’est aussi une référence à l’artiste T2ITS, et puis ça permet de différencier le côté Joss de la vie de tous les jours au rappeur JO2S, tout en gardant une forme d’authenticité. « Parfois on m’appelle l’un, parfois on m’appelle l’autre, » explique-t-il. 

« Pur produit du rap parigot, » est-ce qu’il arrive vraiment chaud ?

Luka The MC, il a d’abord découvert le rap comme tout un chacun de sa génération avec Sexion d’Assaut et Nekfeu, et depuis, il s’éclate à « découvrir ce qu’il y a de plus perché et de plus lointain possible parce [qu’il] adore ça. » Il a sorti son « simili premier titre » quand il était en première, il a écrit ses « textes de merdes, » et il a évolué. Vous connaissez peut-être déjà l’EP Lockdown qu’il a sorti pendant le confinement, ou son premier single Kuroko, disponible depuis le 5 janvier, une œuvre qui incarne bien l’esprit « j’rappe bien et j’suis plus fort que toi. » Au début, le rap c’était un passe-temps, mais maintenant, pour lui, c’est devenu un truc qui prend de plus en plus de place. Son premier projet arrive bientôt, il tient à vous dire de vous tenir prêts.

Alpha Wann, Skepta, et Nipsey Hussle, c’est sans doute son top 3 inspirations. C’est pas facile de se détacher entièrement des autres artistes, mais quand même, l’authenticité c’est hyper important : « si j’arrive pas à bouger la tête, ça dégage. » Sa nouvelle stratégie pour être moins influencé consiste à « faire du rap tout en écoutant des trucs qui n’ont rien à voir. » « Je vais kiffer la technique d’Alpha et de Nekfeu, l’arrogance et la dénonciation d’Orelsan : le but c’est de créer son propre univers, » ajoute Joss. 

En tout cas, Luka c’est avant tout un parigot du 20ème arrondissement, de « Paname Est. » Il en parle souvent dans ses sons : « gros j’suis de Paris, pas du 16ème […] j’suis là pour représenter ripa et le rap. » Il explique : « C’est grave une fierté de venir de Paris, d’une, parce que c’est Paris, et de deux parce que c’est une grande école de rap à laquelle je m’affilie beaucoup parce que tous ceux qui viennent de Paris m’ont beaucoup inspiré. » Joss avait l’air moins sûr du fait que Paris soit la meilleure école de rap, mais ça avait l’air tendu comme sujet donc on va pas s’étaler là-dessus.

Et le Marseillais, vraiment « guidé par la passion » ?

Quant à Joss, c’est avec la batterie qu’il a commencé dans la musique, avant de se mettre à écrire au collège. Au début, les textes sont toujours un peu personnels, puis après tu te chauffes et tu les montres à tes potes. Il explique que ça sert à rien de se poser dix mille questions, tant que tu kiffes, c’est le principal : « faut pas du tout avoir honte de ce que tu fais parce que ça vient de toi. » Pour lui, « c’est kiffant juste de pouvoir faire de la musique avec des potes, » de créer des sons grâce à un mélange d’imagination, de toplines, d’idées…

Forcément, en regardant en arrière sur ses anciens sons, il en rigole, mais ajoute que « l’amélioration vient avec le travail. » Faut pas se décourager parce que certains se moquent ou critiquent, au contraire, ça sert de motivation à donner toujours plus ; « J’trace ma route, j’écoute pas les haters, » Contrôle V.

On connaît tous Joss pour Telo, sorti durant l’été 2021, en collab avec Evan, un autre sciencepiste du Seize, mais JO2S a aussi sorti son premier EP il y a un an, Côté Sombre, avant de sortir le mois dernier Nouveau Départ, démontrant une réelle évolution dans sa musique et dans son univers. Alors que dans Côté Sombre, c’est plutôt une introspection et un renfermement sur soi (« Ma tête un bordel en moi trop de souvenirs sont gravés »), Nouveau Départ prend le contrepied de cette direction avec l’idée de mouvement et d’élévation : « avec Ovra, on pose les bases ; avec Partir, on s’arrache ; et enfin avec Fly, c’est l’apothéose, la montée au septième ciel. » Malgré ça, une chose reste : le bleu présent sur les deux covers, représentant le côté persévérant et tenace de JO2S. Alors qu’en 2021, il disait « tu sais à quel point je persiste, peu importe la pénombre, » il écrit dans Partir « on m’a demandé de partir, j’suis resté j’ai mis le paquet. »

Bref, c’est bien beau tout ça, mais au fond, ça sert à quoi le rap ? 

Si on écoute Luka, le rap, « ça sert à rien. » En gros, le rap, « c’est tout et rien à la fois. » Comme n’importe quel autre art, le rap a énormément contribué à déconstruire et briser des codes, à « donner une voix à des gens qui en avaient pas forcément. » Les deux présidents mentionnent Damso avec toutes sortes de problématiques en Afrique, notamment à travers QALF où il poursuit son combat contre les magnats de l’exploitation minière, Orelsan avec Civilisation, Vald avec Ce monde est cruel, Kendrick Lamar avec Damn… On voit une relation très proche entre le rap et la société, relation qu’on ne retrouve pas forcément dans la chanson, surtout parce que le rap permet de « parler à la jeunesse, qui elle-même parle au rap. » Mais le rap, ça sert surtout à se faire kiffer. Comme dit Joss, ce qui est cool avec le rap, c’est que « y a zéro barrières, zéro contraintes: tu peux faire des feats avec qui tu veux, tu peux faire le type de musique que tu veux, tu peux écrire ce que tu veux. »

En gros, le Seize, certes c’est une asso stylée, certes ils sont très forts pour faire bouger le campus, mais les laissez quand même pas trop prendre la confiance, sinon ils continueront de penser que « les rappeurs de l’asso mettent [nos] rappeurs dans la sauce. »

 

Other posts that may interest you: