Par Emmanuelle Haddad

“Combien de temps estimez-vous avoir passé à effectuer des tests de personnalité cette année ?” C’est cette question qui m’a éclatée au visage il n’y a pas longtemps, alors que j’en faisais un justement. La question était cinglante, elle a résonné fort, comme un jugement. Parce que ce genre de tests, j’en fais à la pelle, sans discrimination.

Et c’est comme ça que des heures s’écoulent, dévorées à se chercher de toutes les façons. Signes astrologiques, tests Myer-Briggs, enneagram, quelle maison dans Harry Potter, quelle couleur de personnage je suis. Plutôt orange, cynique et peu sûre de moi, ou plutôt bleue, réfléchie et limite coincée ? Plutôt Chandler Bing ou Hermione Granger ?

La quête de soi ne se fait pas toujours seul, comme on pourrait le croire. Les gens aiment qu’on les décrive, qu’on devine leur signe astrologique, et un peu comme ça, entre une hypothèse ratée et une autre, on se fait des amis. Parce que le paradoxe de la quête de soi c’est aimer se différencier, être perçu par les autres dans nos nuances, mais aussi se reconnaître dans un groupe, se sentir moins seul. C’est être unique, mais aussi être plusieurs.

Est-ce que cela signifie que nous sommes des esclaves de notre ego ? Que nous sommes des narcissiques qui aiment s’auto-flatter, se voir dans les yeux des autres ? Est-ce que se mettre dans des cases c’est être fataliste, et se dire que de toute façon rien n’est en notre contrôle ? Est-ce qu’on se donne des excuses pour foirer, à coups de “Toute façon c’est pas ma faute, je suis Gémeaux” ?

Quand on fait des tests, des mots sont mis sur qui on est. Et les mots construisent, ils créent du concret. On se fait nous-mêmes, un peu comme un build-a-bear, par les mots qu’on se choisit. Le choix remplace le rien et on devient quelqu’un. Et insidieusement, le label choisi devient réalité. Petit à petit, les suggestions de contenu se cisèlent sur nos réseaux. La déferlante de Tiktok et d’Instagram vient confirmer le label, post par post. On devient Poisson ou Gémeaux un peu par notre propre volonté, parce qu’on s’y est identifié, qu’on a liké des posts qui en parlent, et que d’autres commencent à affluer en tsunami, comme pour nous dire “oui, c’est ce que tu es”. Mais en fin de compte, le tsunami, on l’a un peu déclenché nous-mêmes. Donc au final, est-ce que je suis vraiment Poisson ou est-ce que j’ai juste décidé de le devenir ?

Et c’est ce pouvoir de choisir nous-mêmes qui on est, qui remet en cause la fatalité de “se mettre dans une case”. Parce que les cases sont mouvantes, parce qu’elles sont cumulables, et que si je devais m’assigner une couleur aujourd’hui, je serai un kaki un peu douteux, mélange de vert, orange et bleu. Donc non, le fatalisme ne grandit pas, à partir du moment où on sait qu’on tient les rennes du label, qu’on en fait ce qu’on veut.

Les cases sont en verre, on tape dedans et on les fait voler en éclats, jusqu’à ce qu’il y en ai partout. Alors continuons à aimer l’astrologie, à se chercher en faisant des tests discutables, parce qu’au final on décide, plus que l’on ne subit. Et si on arrive à se retrouver entre introvertis et extravertis, entre personnages bleus et oranges, et que la question “devine mon signe astrologique” allume le feu de la conversation, c’est que la question du “moi” devient celle du “nous”, et ce n’est pas plus mal.

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