Par Juliette Verwaest

À l’occasion de la sortie du film Tirailleurs en janvier, Omar Sy déchaînait la critique pour avoir dit ceci : « l’Ukraine n’a pas été une révélation dingue pour moi. Comme j’ai de la famille ailleurs, en Afrique, je sais qu’il y a toujours eu des enfants en guerre, des familles brisées. Je suis surpris que les gens soient si atteints. Ça veut dire que quand c’est en Afrique vous êtes moins atteints ? »

La droite notamment, s’était alors enflammée, offusquée par l’ingratitude de l’acteur. Cependant, Omar Sy n’a rien dit de grave. Il a seulement mis en exergue ce qui devrait l’être plus souvent : la guerre est partout. 

C’est en effet une contradiction de notre monde mondialisé et ultra-connecté. Nous sommes censés pouvoir tout savoir, tout le temps. Et pourtant, des pans entiers de l’Humanité passent sous les radars (occidentaux). L’Ukraine monopolise en Europe l’attention des médias et de l’opinion publique. Certes, ce conflit nous happe par sa proximité géographique. Mais il faut prendre garde à ne pas laisser les autres guerres s’évanouir dans le flux médiatique permanent : elles sont malheureusement oubliées et souvent infinies. 

C’est le cas de la République Démocratique du Congo, dont la région du Kivu, au cœur de l’Afrique des Grands Lacs, est en proie à des conflits armés depuis maintenant presque 30 ans.

Début mars, Emmanuel Macron s’est arrêté dans le pays à l’occasion de sa tournée en Afrique Centrale. Des tensions entre les deux pays ont alors pu se faire sentir au sujet de l’ingérence Rwandaise dans l’Est du pays. Kinshasa n’a pas manqué de rappeler le silence de Paris sur la question. La région fait en effet face à une recrudescence des conflits entre différentes milices, accusées d’être soutenues par Kigali, et le pouvoir central congolais.

Pour mieux comprendre le conflit complexe qui se déroule dans la région du Kivu, il faut au moins remonter en 1994 et au génocide des Tutsis au Rwanda. Mené par la majorité hutue dans le pays, le gouvernement hutu est finalement renversé par le Front Patriotique Rwanda (FPR), tutsi, qui s’était réfugié en Ouganda et met fin au génocide. 2 millions de hutus fuient au Zaïre (future République Démocratique du Congo). Mais le FPR n’entend pas les laisser s’échapper et les poursuit dans le pays, engendrant de terribles massacres dans la région frontalière. La présence rwandaise dans la région vient de là. S’en suivent deux guerres dans laquelle les pays voisins (Rwanda et Ouganda) sont impliqués. Finalement, en 2003, un gouvernement transitoire est mis en place. Le pays prend le nom de République Démocratique du Congo et fonde une nouvelle armée. 

Mais en 2004, le général à sa tête, Laurent Nkunda, rejette le pouvoir central et crée son propre groupe armé qui se réfugie au Nord-Kivu. Des affrontements avec le gouvernement et des milices hutus se déroulent jusqu’en 2009 : c’est la guerre du Kivu. En 2009, Laurent Nkunda et le président élu en 2006, Joseph Kabila, signent un traité de paix. Le président s’engage alors à intégrer les rebelles dans son gouvernement. Seulement, les milices considèrent que la promesse n’a pas été tenue : le Mouvement du 23 Mars, appelé M23 émerge. Et la guerre reprend de plus belle. 

En 2013, un accord est signé sans que pourtant les combats ne s’arrêtent. Depuis, la province du Kivu s’enlise dans des conflits multiples. On décompterait près de 100 milices dans la région. Certaines sont des milices de pillages, d’autres sont dites d’autodéfense – elles luttent contre les pillages et protègent des villages – d’autres sont plus politiques. Les milices, fragmentées, ne cessent de muer, s’agrégeant et se transformant. 

Ceci est d’autant plus compliqué que le terrain n’arrange rien. En effet, la région est couverte par une grande forêt qui crée des difficultés en terme stratégique mais participe aussi à éloigner cette région du pouvoir central, installé de l’autre côté du pays, dans la capitale Kinshasa. 

La présence de ces milices n’est pas seulement due à des motivations ethniques ou politiques. Le Kivu regorge aussi de ressources minières (diamant, or, coltan…), dont l’accès est l’une des raisons principales de conflits.

En décembre 2022, un nouveau rapport de l’ONU a fuité, accusant le Rwanda de soutenir le M23. Celui-ci a relancé une offensive l’année dernière et domine maintenant une partie du Nord-Kivu. Le Rwanda soutiendrait les milices en leur procurant des armes. Le M23 est dominé par les Tutsis congolais qu’il affirme vouloir protéger contre les groupes militants hutus, dont certains ont compté parmi les génocidaires au Rwanda en 1994. Certains des principaux chefs du mouvement ont d’ailleurs  été membres du Front Patriotique Rwandais (FPR). 

Le rapport détaille aussi la collaboration entre le gouvernement congolais et d’autres groupes armés, démontrant une nouvelle fois la complexité de ce conflit. 

Le conflit ne s’arrête pas donc, et la population locale en est la première victime. Comme pour toute guerre, des exactions en tout genre ont lieu : mutilations, viols, meurtres, embrigadements d’enfants. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, 5,01 millions de personnes se sont déplacées  à l’intérieur de la RDC entre octobre 2017 et septembre 2019. Les réfugiés vivent souvent dans des camps à l’hygiène douteuse où l’épidémie du choléra se propage. Ces terribles conditions renforcent l’horreur d’un conflit dont on ne voit pas l’issue. 

 

Sources : 

https://www.jeuneafrique.com/1400635/politique/dans-le-conflit-rwanda-rdc-lhistoire-begaie-t-elle/

https://www.dw.com/fr/conflit-m23-rdc-ouganda-rwanda-armee-questions/a-64694640

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/12/23/conflit-dans-l-est-de-la-rdc-des-experts-de-l-onu-pointent-la-responsabilite-du-rwanda_6155481_3212.html

https://www.youtube.com/watch?v=lCNSg-8e0bM 

https://www.youtube.com/watch?v=C5dioc092T0

https://www.leparisien.fr/international/ethiopie-congo-mozambique-yemen-les-guerres-oubliees-par-lactualite-14-01-2023-64E6A52GD5EF7LSOYVFSVIUZHE.php

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