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Hackfrica : de l’innovation numérique pour l’Afrique

By February 25, 2018 No Comments

Par Amandine Hess

 

Le premier Marathon a peut-être eu lieu entre Marathon et Athènes en – 490, mais le premier Hackfrica – ou Hackathon – tourné vers le développement africain, aura lieu lors du week-end du 14 au 15 Avril 2018, à Paris. Les Marathoniens courent tandis que les Hackatoniens concourent. Parcours de 40,195 km pour les coureurs versus concours de 24 heures pour les codeurs. C’est un peu moins de 12 fois plus long que le records mondial de Marathon détenu par le Kényan Dennis Kimetto de 2 heures, 2 minutes et 57 secondes en 2014. Enfin, si nous devons l’origine du Marathon au messager grec Philippidès, nous devons Hackfrica aux jumeaux Baptiste et Augustin Gaultier. Etudiants en première année au sein du programme Euro-Africain de Sciences Po Paris, sur le campus de Reims, ils reviennent sur la création et l’évolution fulgurante de leur initiative étudiante. Basée à l’origine sur leur intérêt commun pour le développement de l’Afrique, le numérique et l’entreprenariat, Hackfrica repose également sur des liens d’amitié très forts au sein du programme Europe-Afrique. Cette amitié ne leur fait pour autant pas oublier le professionnalisme que nécessite leur projet.

 

Le week-end du 14 au 15 Avril à Paris, 120 participants sont attendus pour se livrer à une compétition acharnée, placée sous le signe de l’innovation numérique digne de la première guerre Médique.

Réunion au sommet de l’équipe Hackfrica presque au complet. Photo : Leopold Girard

 

Les origines de Hackfrica : l’envie de s’investir pour le développement africain

“ L’idée est de montrer que l’on peut parler de l’Afrique sans parler nécessairement d’humanitaire. Cela ne veut pas pour autant dire que nous occultons les problèmes que connaît le continent. Nous choisissons de les aborder d’un point de vue plus économique que philantropique”. Hackfrica, c’est non seulement s’investir dans une association qui permet de rencontrer rapidement des acteurs Africains mais également donner l’opportunité aux étudiants, entre autres issus de la diaspora, de participer au développement du continent dès maintenant. Nul besoin d’attendre d’être inséré dans la vie professionnelle pour pouvoir apporter sa pierre à l’édifice. L’idée originelle tient un peu au hasard, à une page Hackathon apparue sur le fil d’actualité Facebook des deux fondateurs. Celui-ci devait avoir lieu dans une université américaine. “Nous nous sommes alors dits : pourquoi ne pas le placer dans une dimension africaine ?”. C’est ainsi qu’à “Hackathon”, les frères Gaultier ajoutent “Africa”. Le projet est né.

 

L’évolution du projet : un parcours du combattant

 

Etape 1 : réfléchir au concept pour le présenter lors des initiatives étudiantes

Pour les non-adeptes du vocabulaire “sciencespiste”, ces initiatives sont des projets liés à la vie étudiante, présentés et sélectionnés par la communauté des élèves afin de bénéficier des même moyens que les associations étudiantes reconnues. En gros, un coup de pouce de Sciences Po pour gagner en visibilité, en crédibilité et en moyens financiers. Bingo, le projet est accepté.

 

Etape 2 : implanter Hackfrica comme association de loi 1901 pour ne pas être entièrement dépendant de Sciences Po et trouver des fonds.

Les jumeaux se souviennent ensuite avec enthousiasme du premier prix décerné par la RATP, “véritable coup d’accélérateur”, grâce auquel ils remportent les 4 000 euros nécessaires au lancement du projet. “A partir du prix RATP, nous avons su que l’idée plaisait. Ils nous ont donné l’argent et ont précisé que l’idée était super. Ils voulaient avoir un retour pour connaitre le dénouement de notre projet”. Cette réussite, ils estiment la devoir “au côté assez innovateur du projet, présenté par des étudiants de Sciences Po mais tourné vers l’extérieur, vers d’autres élèves et d’autres continents”. L’arrivée des vacances d’hiver devient ensuite source d’inquiétude car l’équipe se dispatche. Si certains retournent en Afrique, d’autres restent à Reims ou à Paris … Ils s’appuient alors sur les Parisiens afin de prendre contact avec des incubateurs. “Nous avons eu beaucoup de retours de participants potentiels. Mais le lieu, Reims, restait problématique”. Si le premier Hackathon a eu lieu dans une université américaine, le premier Hackfrica se déroulera à Paris, 21 rue de Cléry. A leur connaissance, c’est le premier Hackathon spécialement tourné vers l’Afrique en France. “Nous avons la chance d’avoir un projet, dans une certaine mesure, attachant car porté par des étudiants de première année universitaire donc relativement jeunes même dans le monde étudiant.”

 

Etape 3 : L’équipe entre en contact avec l’incubateur de School Lab, situé dans le deuxième arrondissement parisien.

Le groupe leur réserve un accueille chaleureux. Il accepte même de leur prêter deux étages de l’incubateur pour le week-end de l’évènement et de relayer leurs communications.  Schoolab est le partenaire adéquat, tourné vers les étudiants et non les diplômés, qui tente d’établir un lien fort entre grands groupes et étudiants.

 

Etape 4 : Développer un nombre grandissant de partenariats

School Lab a aidé le groupe sciencepiste à entrer en contact avec le département Afrique de la société française de télécommunications Orange. Les discussions sont actuellement en cours pour établir la manière dont l’entreprise pourrait contribuer au projet, notamment en partageant des API (Application Programming Interface ou Interface de Programmation Applicative, NDLR). Ces bases de données servent de plateforme par laquelle un logiciel – ici celui d’Orange – offre des services à d’autres logiciels développés par les participants de Hackfrica. “Orange a une grosse base de données et de logiciels sur l’Afrique. Si nous pouvions les utiliser lors du Hackathon, ça lui donnerait encore une autre dimension !” s’enthousiasme Baptiste.       

Leur réseau s’élargit de manière exponentielle. Ils contactent ensuite We Start, association plus généraliste qu’Hackfrica. Elle leur permet d’atteindre d’autres associations parisiennes. “Le véritable coup de fouet s’est produit lorsque nous sommes entrés en contact avec l’OHADA, l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires”. Ils redoublent de motivation à l’écoute des retours enthousiastes de ces professionnels.  “Des personnes voulaient absolument nous aider et même superviser le projet pour être sûr que le projet arriverait à terme. Nous avons réalisé qu’il y avait réellement quelque chose à faire”.

 

Le jour – J est fixé au week-end du 14 au 15 avril.

L’équipe d’Hackfrica reçoit le prix de la RATP le 24 Novembre 2017. Photo : Bastien Rébéna

 

Au programme du Jour-J : un marathon de l’innovation numérique

Les participants seront invités le vendredi soir à la soirée de remerciement de l’ensemble des partenaires. Des équipes de quatre ou six seront ensuite formées et resteront les mêmes pendant toute la durée de la compétition. L’idéal est de mélanger les profils en fonction des capacités de chacun (associer un étudiant en informatique avec un en école de commerce par exemple). Le top départ sera lancé le samedi après-midi. A partir de ce moment, ce sera du non stop, même la nuit. Plusieurs objectifs seront toutefois fixés : “A cette heure-ci, vous devrez avoir décrété les grandes lignes de votre projet”. Dernière ligne droite le dimanche matin. Les travaux se terminent à 14 heures. Les équipes passent ensuite devant un jury, dont les membres sont en train d’être choisis. La remise des prix aura enfin lieu en fin de journée. A ce sujet, l’incubateur a accepté, sous réserve d’un entretien, de permettre le développement du projet vainqueur du premier prix pendant 6 mois, ajoute Augustin. L’équipe est également en discussion avec un autre incubateur, Bond’innove, spécialiste des entreprises opérant dans les pays dits du “Sud”, pour offrir en deuxième prix des stages en startup en fonction du potentiel des heureux élus. Quelques membres du jury et un potentiel troisième prix sont actuellement en cours de discussion.

 

Qui peut participer ?

“Nous ne mettrons aucun obstacle à l’entrée, je le précise pour nos collègues Euram. Notre projet sera une vraie réussite si nous parvenons à intéresser des personnes qui, initialement, n’ont aucun lien avec le continent” précise Augustin . Ainsi, un intérêt pour l’Afrique n’est pas une condition sine qua none. Au contraire, les organisateurs seraient ravis que les participants n’entretiennent pas de liens spécifiques avec l’Afrique mais que Hackfrica justement, soit l’occasion de faire naître cet intérêt. 120 participants sont, dans l’idéal, attendus. L’offre s’adresse plutôt à des élèves du grade Master, mais également aux classes préparatoires. Là encore, aucune restriction. Les membres de Rising Africa, association rémoise de l’école de commerce Neoma, ont également été invités à rejoindre la compétition.

 

Passer de Hackathon à Hackfrica : comment intégrer des contraintes relatives à l’Afrique

Les Hackathon sont souvent mis en place par des entreprises qui veulent externaliser leur Recherche et Développement (R&D). Le pouce bleu a par exemple été inventé lors d’un tel évènement organisé par Facebook. La subtilité de Hackfrica tient au fait que ce n’est pas le Hackathon d’un groupe en particulier. C’est d’ailleurs la principale difficulté rencontrée pour trouver un sponsor. Toutefois, cette indépendance permet de garantir aux équipes qu’elles possèdent les droits de leurs idées. Elles en usent comme bon leur semble: “Si par la suite elles veulent créer leur start up en Afrique, nous en serons d’autant plus fiers et contents” s’enthousiasme Augustin.

Généralement, les innovations résultant du Hackathon sont des applications, des logiciels, voire même des objets connectés. Passer de Hackathon à Hackfrica, c’est devoir tenir compte de contraintes spécifiques liées à l’Afrique lors de la conception de l’innovation. La couverture internet limitée du continent rend difficilement viable une application passant par internet. Intégrer ces contraintes à son cahier des charges et leur apporter des réponses efficaces assure le passage de la conception à la mise en place potentielle de l’innovation. Concernant la contrainte du réseau internet, beaucoup de solutions se développent en Afrique autour de la fonctionnalité des réseaux téléphoniques mobiles USSD par exemple.

La créativité des codeurs est encouragée mais  imposer un cadre demeure nécessaire. “Nous voulons des projets crédibles qui ont un jour une chance de marcher. Nous ne prenons pas ça pour un jeu” assure Augustin. “Il y a vraiment eu un basculement” poursuit Baptiste. Si au début, ils voyaient Hackathon comme une initiation dont le but était de donner aux individus le goût d’investir en Afrique, les frères Gaultier espèrent aujourd’hui que leur projet pourra d’ores et déjà donner lieu à des solutions concrètes et applicables. “Il y a des secteurs posant problème au développement du continent africain, secteurs dans lesquels il n’y a même pas eu de tentatives afin de trouver une solution” se désole Baptiste. Des projets comme Hackfrica sont alors l’occasion d’encourager de telles tentatives. “C’est la maigre contribution que nous pouvons faire à notre âge pour l’Afrique. Nous espérons pouvoir rapidement aller vers quelque chose de plus ambitieux”.

 

Sciences Po au coeur du projet des frères Gaultier

Les frères Gaultier n’oublient pas pour autant l’ADN de leurs études. Il a été question au début de se tourner vers un projet ayant plus de rapport les sciences sociales, caractéristique propre à Sciences Po. Des projets touchant au Civic Tech par exemple, ou la façon dont l’Etat peut se servir de l’innovation numérique. L’Afrique a ici un fort potentiel. Le Rwanda fait figure de modèle. Vous avez sûrement entendu parler des drones utilisés pour livrer les hôpitaux en sang lorsque la saison des pluies rend les routes rwandaises impraticables … “C’est dingue!” dixit Baptiste. Ne perdant pas de vue “l’ADN de leurs études”, le groupe Hackfrica, outre la compétition du 14 au 15 Avril, organisera d’autres évènements en lien avec les sciences sociales. Par exemple, leur conférence à venir sur les smart cities sera abordée d’un point de vue technologique mais relèvera également de questions d’ordre sociétales : Qu’est-ce que ce processus implique ? Vers une anonymisation des individus ou réelle façon d’améliorer les conditions de vie urbaine ?

L’équipe d’Hackfrica ne compte pas ses heures supplémentaires ! Photo : Mewen Le Garrec

 

Un projet ambitieux mais une mise en place difficile

Il a fallu faire comprendre que c’était un projet sérieux, que ce n’était pas un jeu, même au sein de l’équipe. “On ne pouvait pas avoir la prétention de dire ‘nous allons créer des starts up’. Ce que nous pouvions faire en revanche, c’était de favoriser leur émergence. Et passer ainsi rapidement vers quelque chose de plus ambitieux” précise Augustin. Il a fallu affiner le modèle Hackfrica pour devenir plus professionnel. L’équipe a ensuite accédé à des financements et approché des personnes intéressantes et motivées. La professionnalisation de l’association était cruciale. Sorti de Sciences Po, le statut d’initiative étudiante n’a aucun sens pour les partenaires. Un véritable frein à la présentation de ce projet à l’extérieur.

Une autre difficulté réside dans la nécessité de comprendre ce qui va se passer pendant le Hackfrica pour les membres de l’équipe qui n’ont, pour la majorité, pas forcément de connaissance en coding. L’équipe organisatrice a obtenu d’un partenaire de potentiels cours pour initier ses membres à cette pratique et son vocabulaire. Les frères ne s’inquiètent pas de ces difficultés : “Je vais reprendre une phrase de Nelson Mandela. Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. Pour l’instant, nous gagnons et apprenons en même temps” s’amuse Baptiste. L’équipe apprend notamment de ses erreurs. “Nous nous en sortons bien mais si nous refaisons le même projet l’année prochaine, ce que nous souhaitons, il y a un certain nombre de choses que nous ferons différemment”. L’équipe apprend également grandement auprès de ses partenaires. Au lieu de les “faire rêver”, Baptiste considère que ces professionnels les “inspirent” et les “motivent”. “Nous aimerions avoir une position similaire dans 10 ans. Cette ambition nous pousse à donner le meilleur de nous même. Ces 10 ans de moins font que nous n’avons pas la même expérience. Nous apprenons encore”.

 

Ainsi, si les Perses ont remporté la bataille de Marathon, ici une nouvelle devise s’applique. Que l’équipe proposant l’innovation sachant le mieux répondre à un défi du développement africain remporte ce premier Hackfrica ! C’est parti pour une compétition à couper le souffle (référence assumée au sort de feu Philippidès). Et si le messager grec courrait pour annoncer la victoire des Perses à l’issue de la première guerre Médique, le message des Frères Gaultier est novateur. Il annonce que la nouvelle génération est prête à concourir pour le développement technologique en Afrique.

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