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Foreign Affairs

Gilles Kepel à Reims: Terreur dans L’Hexagone

By February 29, 2016January 25th, 2018No Comments8 min read

By Floriane

Le 25 février dernier, Gilles Kepel s’est rendu sur le campus de Reims pour présenter son dernier livre, Terreur dans l’Hexagone – La genèse du djihad français, fruit de plusieurs années de recherches sur le terrorisme mondial, l’islam de France et les fractures de la société française, et publié à la suite des attentats du 13 novembre 2015. Retour sur une conférence enrichissante aux arguments parfois contestables.

Gilles Kepel à Reims, quel événement ! Tout le gratin des sexagénaires rémois était présent dans l’amphithéâtre pour écouter l’homme dont ils avaient attentivement lu le livre (et accessoirement faire dédicacer leur exemplaire). La proportion d’étudiants de Sciences Po dans la salle n’excédait pas 20%, pour la simple raison que de nombreux élèves n’ont pas pu y trouver de place. Si la présence d’externes n’est absolument pas à blâmer (et nous nous réjouissons de l’attractivité de notre campus ainsi que la capacité de ce genre de conférences à mobiliser les Rémois), on regrettera cependant l’incapacité de l’administration à garantir à ses propres élèves un quota de places à cette conférence.

Politologue spécialiste du monde arabe et de l’islam, Gilles Kepel est notamment professeur des universités à Sciences Po. Il a publié de nombreux ouvrages sur les mouvements islamiques, les banlieues française ou encore les printemps arabes comme Les Banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France (1987), Passion arabe (2013) et Passion française. Les voix des cités (2014), pour n’en citer que quelques-uns. Ce qui frappe avec ce nouvel ouvrage, c’est d’abord sa couverture et son titre choc : « Terreur dans l’Hexagone » en lettres tricolores sur fond noir. Si l’intéressé se défend dès le début de la conférence d’avoir choisi un titre sensationnaliste, en avançant que la France a réellement subi la terreur, il ne nous a pas complètement convaincu. Alors qu’il nous avait habitués à des titres beaucoup plus mesurés, Gilles Kepel semble, avec cet ouvrage paru très rapidement après les attentats du 13 novembre, vouloir surfer sur la vague de la peur du terrorisme et de l’islamisme radical.

 L’analyse qu’il livre sur les évolutions du terrorisme international est cependant une analyse qui marque sa pensée depuis de nombreuses années et que ses études ont permis d’affiner. Il distingue trois générations du djihad mondial, l’Organisation Etat Islamique étant l’incarnation de la dernière génération. Le djihad (qui, dans son sens arabe, véhicule l’idée « d’effort sur soi pour être le meilleur musulman possible ») a toujours fait partie de l’histoire des pays arabes mais a pris une importance de premier plan à la fin des années 1970, avec l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979. C’est ainsi que les Etats-Unis ont armé et financé, avec l’aide des pétromonarchies du Golfe, la résistance à l’Armée Rouge, en passant notamment par des mouvements islamiques sunnites afghans (les moudjahidines) désireux de chasser les communistes « mécréants » hors d’Afghanistan. Ceci a notamment permis aux Etats-Unis d’affaiblir l’URSS tout en contenant l’expansion de l’Iran chiite. Durant la dizaine d’années qu’a duré ce djihad, les moudjahidines Afghans furent rejoint par des djihadistes venus d’Algérie ou d’autres pays arabes (et même de France), constituant des sortes de brigades internationales dans un appel mondial à un djihad de défense de la terre d’islam. La première phase du djihad fut donc un succès qui aboutit au bouleversement des relations internationales.

Lorsque les djihadistes étrangers rentrent d’Afghanistan, ils sont endoctrinés, surentraînés et prêts à reproduire le phénomène dans leur propre pays, comme ce fut le cas en Algérie avec le Groupe Islamique Armé à partir de 1992. Les membres de cette organisation, d’abord soutenus par la population, voient ensuite leur hyper-violence se retourner ensuite contre eux ; leur mouvement, censé mobiliser d’autres musulmans dans cette guerre sainte, est alors un échec. Oussama Ben Laden en tire les leçons quelques années plus tard : il souhaite s’attaquer à un ennemi lointain, les Etats-Unis, et ainsi reproduire la destruction d’un empire (comme lors de la destruction de l’Empire Sassanide ou celle de l’URSS, perçue par des nombreux djihadistes comme une œuvre des musulmans). Il espère montrer aux musulmans la faiblesse des Etats-Unis et les convaincre de rejoindre le mouvement djihadiste, en s’emparant notamment du média télévisuel, qui relaiera en boucle les attentats de septembre 2001. Mais cette deuxième génération du djihad est également un échec de mobilisation.

 Le tournant se produit en 2005, lorsque Abou Moussab al-Souri publie son Appel à la résistance islamique mondiale sur internet. Il estime que le futur du djihad se joue maintenant en Europe, « ventre mou de l’Occident », où des populations musulmanes peu intégrées et rencontrant des difficultés économiques et sociales pourraient être sensibles à un discours radical. Son but est alors de diviser l’Europe pour déclencher une guerre civile afin d’y établir le Califat. Pour y parvenir, il préconise d’abandonner l’idée d’une organisation trop centralisée mais plutôt d’essaimer les activités en s’appuyant sur des initiatives personnelles, plus difficiles à détecter par les services de renseignement français. Selon Gilles Kepel, ces derniers ont échoué dans l’analyse de la rupture que constitue cet appel, qu’ils n’ont pas pris au sérieux en pensant que cette nouvelle organisation ferait imploser le système djihadiste. Si Kepel insiste sur le fait qu’il avait réussi à anticiper ce retournement et se fend de nombreuses critiques vis-à-vis des renseignements, les blâmer lorsqu’on a enfin tous les éléments du puzzle, paraît assez facile : en 2005, le scénario de Kepel paraissait sans doute aussi probable que celui des renseignements français. De la même façon, les nombreuses critiques professées par Gilles Kepel à l’encontre de son collègue Jean-Pierre Filiu, dont le travail est reconnu et respecté par tous, n’ont pas forcément plu à l’auditoire.

Kepel termine son exposé en présentant les facteurs qui ont ensuite concouru à la réalisation du projet d’al-Souri : l’apparition des réseaux sociaux, qui prennent une place très importante dans cette troisième génération du djihad, la rencontre entre petits délinquants français et islamistes radicaux dans les prisons françaises, telle Fleury-Mérogis, ainsi que la création d’Etats faillis où le djihad peut prospérer à la suite des soulèvements arabes de 2010-2011.

La conférence se termine par une séance de questions du public. On pourra regretter que Gilles Kepel n’ait pas eu le temps d’évoquer les deux autres éléments clés de son analyse (beaucoup plus intéressants sociologiquement et éminemment polémiques) que sont les transformations de l’islam de France, les ruptures de certains jeunes de banlieue vis-à-vis des valeurs de la République Française ainsi les fractures de la société française, incarnées notamment par la montée de Front National. On aurait également aimé qu’il s’attarde plus longuement sur le « défi culturel » que représente à ses yeux la radicalisation des banlieues françaises. Il appartiendra alors au lecteur de construire sa propre réflexion en se plongeant dans l’ouvrage de Gilles Kepel ainsi que les articles de ceux qui s’opposent à ses positions.

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