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Propos collectés et retranscrits par Anton Mukhamedov

Mazen Adi, membre du parti communiste de Riad al-Turk banni sous Hafez al-Assad, emprisonné pendant 5 mois sous Bashar al-Assad, a été l’un des porte-paroles de l’opposition syrienne sous les deux régimes. Il accepte de nous livrer son témoignage et sera présent à la table-ronde sur la révolution syrienne demain, 1er février, à 17h30, pour en discuter avec vous.

Mazen Adi, image tirée d’une vidéo de la Maison des Journalistes

Quand j’étais adolescent, je m’interrogeais sur ce que je voulais faire de ma vie. J’avais deux choix : devenir un chercheur scientifique, car j’aime beaucoup la physique et les mathématiques, ou bien être militant politique. Je me suis dirigé vers la politique, devenant membre d’un parti communiste. J’étais attiré par le principe d’égalité, qui allait ensemble avec la liberté, l’humanité. Mais je n’étais pas dogmatique dans mon approche : je continuais toujours à rechercher la vérité. J’étais opposé à la politique soviétique, qui n’était pas humaine. Je suis contre tous les dictateurs, contre l’injustice et pour la défense des pauvres.

J’ai commencé le militantisme à 17 ans, en rejoignant le parti communiste de Riad al-Turk. Mon père était intéressé par la politique et avait travaillé pour l’Union socialiste arabe. Il était professeur d’histoire qui avait enseigné au Maroc, à Casablanca. En m’encourageant indirectement, il ne voulait tout de même pas que je prenne des risques. Il m’a souvent répété : “Laisse tomber, ce pays n’est pas fait pour la politique”. Mais il a toujours respecté mes idées.

C’est un bonheur de pouvoir agir comme je décide, comme je pense. C’est une grande liberté de ne pas être qu’une vis dans une machine.

J’ai étudié l’ingénierie civile. Et puis, en 1980, il y a eu un mouvement de syndicats, d’avocats, d’ingénieurs avec un peu d’espace laissé aux mouvements islamistes. Le mouvement principal, lui, était démocratique. Je faisais partie alors d’un syndicat d’ingénieurs ainsi que secrétaire de mon parti à Hama et membre de comité central. A 27 ans, j’étais le plus jeune à occuper ce poste.

Vivre en clandestinité sous Hafez al-Assad

Le parti communiste, aussi appelé “bureau politique”, a été complètement interdit en 1980. Beaucoup de monde a été arrêté, y compris Michel Kilo et Yassin al-Haj Saleh. Seulement cinq ans auparavant, j’avais participé aux manifestations à l’université de Damas : à l’époque, nous n’étions ni autorisés, ni interdits.

Riad al-Turk, fondateur du Parti communiste (Bureau politique) : REUTERS/Khaled al-Hariri

Depuis, nous avons travaillé dans la clandestinité. Vivre dans le secret est très difficile : on ne connaît pas tout le monde, on est obligé d’utiliser des pseudonymes. Mais c’est important pour que nos activités puissent durer. Nous avions un journal central, Nidal al-Shab (La Lutte du peuple) ainsi que des journaux locaux. Je travaillais dans leurs rédactions, en participant aussi à d’autres opérations.

Le parti avait des branches dans toute la Syrie, des membres qui faisaient des rapports sur la situation locale et dont 250 ont finalement été emprisonnés. Amnesty International publiait régulièrement des annonces à propos de nos prisonniers politiques. Deux ans avant le massacre de Hama par les forces de Hafez al-Assad, j’ai été transféré à Damas pour aider à diriger le parti avec les quelques membres restant en liberté.

Je travaillais beaucoup, car on doit être intelligent pour savoir trouver les points faibles du régime. C’était une véritable lutte pour la liberté et l’égalité, contre le régime qui avait une toute autre morale. Le régime n’avait surtout aucun valeur ! Hafez était entouré par des gens qui n’avaient pas la confiance dans le régime et restaient surtout pour des avantages personnels, pour de l’argent. Les branches des service secrets ne se coordonnaient pas entre eux, constituant chacune leur royaume propre.

Réfléchir bien à tout ce que je faisais, jusque dans les détails, m’a évité pas mal d’incidents. J’ai passé 12 ans à Hama, ville de 250,000 habitants, qui a à peu près la taille de Reims, où on peut facilement croiser des personnes qu’on connaît. A Damas, où vivent 5 millions de personnes, c’est beaucoup plus facile de se cacher.

Dans le transport syrien, nous sommes obligés de noter notre nom, mais dans le bus, en plus de cela, il faut montrer une carte d’identité. A chaque fois que je me déplaçais, je prenais donc le train, où je n’en avais pas besoin. Pour acquérir un logement, il faut s’inscrire auprès du Parti Baas. On utilise donc le nom de quelqu’un d’autre. On trouvait toujours des trous par lesquels on pouvait passer.

Espoir de retour déchu

En 1970, j’ai appris le français en tant que langue étrangère, même si j’ai tout oublié depuis. En 2012, je suis arrivé en France. J’ai décidé de recommencer le français seulement deux ans plus tard. Au départ, je pensais revenir en Syrie et ne croyais pas avoir le temps pour une nouvelle langue. Mais en 2014, il est devenu clair qu’il n’y avait pas de solution au problème syrien. La communauté internationale ne voulait pas en trouver une.

Je suis donc obligé de rester ici longtemps. Mon appartement à Damas est occupé par la police secrète de Bashar. S’il n’y a rien qui change, je ne peux pas revenir : mon cabinet d’ingénieur-architecte est fermé. Je suis parti sans rien prendre. Avant de partir, j’avais été en prison pendant 5 mois, de 10 mai jusqu’au 16 octobre 2011. Depuis que j’en suis sorti, je mène une nouvelle vie. Beaucoup de mes amis ont été tués. Si j’avais tardé jusqu’en 2013, peut-être que je ne m’en serais pas sorti.

Depuis 1980, je n’ai plus le passeport syrien et quand je suis arrivé en France, c’est avec un récépissé de l’Ambassade de France à Damas qui m’a servi de laissez-passer.

Mazen s’interrompt pour montrer un reportage de BFM TV qui raconte l’histoire de sa détention. La vidéo révèle l’absurdité de la vie quotidienne en Syrie avant la révolution : Mazen a été détenu dans une pizzeria dont le propriétaire, qui travaillait pour la police secrète, lui a volé la sacoche avec deux téléphones portables qui contenaient les codes utilisés par le parti. 5 mois plus tard, Mazen sort ayant été amnistié par Bashar al-Assad.

Le peuple syrien a perdu plus de 500,000 personnes et 100,000 ont été détenues. J’ai eu la chance de pouvoir venir en France. Je ne me sens pas étranger ici, toujours je rencontre des amis, des personnes dont je partage les idées et les espoirs. La Révolution française a été une histoire très compliquée, mais maintenant nous avons la conscience des valeurs humaines principales.

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