L’opposition faiblit mais ne meurt pas. Et l’exécutif macronien avance ses dernières cartes. Après une révision de sa politique fiscale, insuffisante pour répondre aux demandes citoyennes aspirant à une plus grande justice sociale et un Grand Débat créé ex nihilo, le pouvoir élyséen se retrouve acculé. L’hypocrisie ouverte d’un gouvernement qui aurait besoin de mieux appréhender les besoins de la polis quand nombre de ses acteurs lui exposent hebdomadairement dans les rues de la République écrase les anciens espoirs florissants d’un nouveau monde.

Face à la violence d’un peuple lassé des révolutions promises et avortées, se réfugiant dans la brutalité pour combler le manque de représentativité des instances démocratiques, le Président de la République multiplie les mesures de défense. La loi anti-casseurs, le renforcement répété des forces de l’ordre et les opérations de communication contre « une infime minorité » à l’origine d’un quasi-État d’urgence permanent en sont autant d’exemples frappants. Plutôt que d’apporter des réponses de fond, le gouvernement s’évertue à garder un cap dont l’électorat français ne veut visiblement pas au vu de la plongée continuelle qu’a connu sa popularité dans les sondages d’opinion. Désemparé, l’exécutif, voyant son débat citoyen dans l’incapacité de résorber les violences, a alors déployé l’armée, signant ainsi son incompétence pour assurer tant les libertés de tout un chacun que la sécurité collective.

En effet, de quelle sécurité parlons-nous quand des forces armées sont mobilisées pour une mission qui n’entre en rien dans le cadre de leur fonction ? Il y a insécurité d’abord dans ce décalage inhérent entre la fonction à laquelle ces soldats sont formés et leur affectation pour répondre à une conjoncture défavorable pour le gouvernement. Comme le rappelait Elie Tenenbaum dans Libération : « Les militaires sont formés pour tuer, leur métier, c’est le combat létal. Du côté de l’armée, il y a la volonté d’affirmer qu’il ne faut pas amoindrir cette capacité ». Dans cette perspective, la rhétorique de l’ennemi, si elle doit être débarrassée de son carcan partisan, se révèle particulièrement pertinente par sa capacité à dissocier l’ennemi jaune macronien, ennemi de nature politique, et l’ennemi traditionnel du militaire : la menace à la sécurité nationale.  

Il y a insécurité ensuite pour les membres des forces déployées eux-mêmes. Hormis cas exceptionnel où la légitime défense serait en cause, les soldats de l’opération Sentinelle ne disposent d’aucun moyen de défense véritable, les moyens dits de forces intermédiaires, comme le gaz lacrymogène ou les balles de défense, étant réservés au strict usage par des forces de sécurité non-armés. Les Gilets jaunes étant extrêmement mobiles, leurs mouvements dans l’espace public demeurent difficilement prévisibles. En ce sens, des contacts directs avec les manifestants ne sont pas exclus et la manœuvre présente donc des risques évidents de surenchère des tensions et d’impossibilité pour les soldats de maîtriser la foule.

Il y a insécurité enfin pour les Gilets jaunes. Si le mouvement est très majoritairement pacifiste, la possibilité d’émergence de groupes de casseurs ou bien d’individus radicalisés, pouvant entraîner une agression massive des forces armées en présence, n’est pas nulle. Ce serait alors l’ensemble des individus manifestant qui seraient menacés par les débordements d’une minorité par le risque d’une erreur humaine du côté des forces de sécurité, non-qualifiées pour faire face à une telle situation.

En somme, l’intervention des forces armées n’est pas le produit d’une stratégie destinée à apaiser les tensions. Derrière ce déploiement se cache un travail pernicieux réalisé sur l’opinion publique pour laisser croire que le gouvernement, en dépit de son inertie depuis novembre 2018, reste dans la capacité de reprendre le contrôle. En filigrane, c’est un nouveau coup à la liberté de manifester et donc de s’opposer qui est porté. En contrepoint, l’exécutif, loin d’assurer la pérennité des institutions, use de ces dernières dans une volonté opportuniste à la frontière de la dérogation des règles démocratiques. Le Conseil constitutionnel lui-même a censuré une partie du projet de loi anti-casseurs, jugeant qu’il y avait au sein de celui-ci toutes les composantes d’un terreau fertile à une atteinte aux droits fondamentaux. Au nom des deux valeurs intrinsèquement humaines que sont l’accès aux libertés et la promesse de la sécurité, le citoyen doit exiger davantage d’éthique politique de la part d’un gouvernement qui avait pourtant promis transparence et discernement. La complexité de la crise qui, chaque samedi, revient bouleverser le paysage médiatique et politique nous l’impose.

 

Cover picture © SIPA

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