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Alors que la crise de l’épidémie COVID-19 a plongé le monde entier dans une période difficile, il en est une qui semble tirer profit de la situation : notre planète. Le ralentissement brutal de l’activité humaine dans les pays développés lui offre, en effet, un rare moment de répit. Sur le long terme, en revanche, l’impact positif de la crise sur l’environnement est beaucoup plus incertain.

Les mesures de confinement ont suspendu le trafic routier, comme ici à Wuhan, épicentre de l’épidémie du coronavirus, en février dernier. Source: Getty.


Depuis
le rapport séminal du GIEC de 1995, nous savons avec certitude que l’activité humaine est responsable du réchauffement climatique. Alors quand un virus met à l’arrêt des populations entières, réduisant de fait leur impact environnemental dans leurs activités quotidiennes, il paraît évident d’y voir une bonne nouvelle pour la planète. Sur les réseaux sociaux, des scènes spectaculaires où la nature reprend ses droits ont notamment suscité un fort engouement, de nombreuses personnes les utilisant pour contrer le flot assommant d’informations négatives, attristantes et parfois source d’anxiété, qui domine actuellement l’espace médiatique. Si l’on peut se réjouir d’assister à ces scènes d’osmoses naturelles, l’impact de la crise sur la santé de notre planète à long terme est plus obscur. Disclaimer, il pourrait même vous sembler moins réjouissant à la lecture de cet article. Pour y voir plus clair, examinons donc les réelles conséquences de la crise du coronavirus sur l’environnement.

Une parenthèse pour la planète

Nombreux ont remarqué l’impact positif direct de la pandémie du coronavirus sur l’environnement. La mise à l’arrêt des secteurs économique, touristique et industriel, a en effet contribué à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. En ville, le confinement, et l’absence de déplacements en résultant, ont fortement diminué la pollution liée aux transports. Des images satellites de la NASA, partagées en nombre sur les réseaux sociaux, ont pu mettre en évidence cette réalité. En Chine, les émissions de dioxyde de carbone ont notamment diminué de 25% en seulement deux semaines. Ce pays étant le premier pollueur mondial, avec 29% des émissions de CO2, l’impact global s’est également vu diminué. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont ainsi chuté de 6% depuis le début de l’épidémie.

 

En Chine, et plus particulièrement au Nord-Est du pays, l’épidémie du coronavirus a causé une diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre. Sur ces données de la NASA, on constate qu’en moins d’un mois, le taux de dioxyde d’azote est passé de plus de 500 μmol/m² à moins de 125 μmol/m² autour de Pékin, soit une baisse significative de 75%.

 

À Venise, où l’activité touristique est actuellement au point mort, l’eau des canaux a retrouvé de sa clarté, à la grande surprise des habitants. Un phénomène extraordinaire pour cette ville habituée aux passages continus des bateaux de visiteurs.

En l’absence d’activité touristique, l’eau des canaux de Venise a retrouvé sa limpidité, au bonheur des cygnes et des poissons que certains ont pu photographier. Ces photos ont fait le tour des réseaux sociaux.

 

La pandémie du coronavirus semble ainsi avoir offert à la nature un moment de répit. Les animaux en sont les premiers à se réjouir, comme ces cygnes profitant de l’eau transparente des canaux de Venise. Certains témoignent avoir entendu et aperçu des oiseaux pour la première fois près de chez eux. Une vidéo partagée sur Twitter montre même des dauphins aux alentours d’un port, en Sardaigne, revenus en l’absence du va-et-vient habituel des grands ferries touristiques. Reprenant ses droits, la nature nous offre un spectacle saisissant.

Les effets positifs du coronavirus liés à l’environnement se n’arrêtent pas à la revitalisation des écosystèmes. Des conséquences notables en terme de santé publique sont également à signaler. En Chine, où la mortalité liée à la pollution atmosphérique est estimée entre 1 et 2 millions de personnes chaque année, soit en moyenne 4000 personnes chaque jour, de nombreuses vies vont être sauvées grâce à la purification de l’air. Leur potentiel nombre surpasse de loin le bilan des victimes du coronavirus dans le pays, qui s’élève à 3400 personnes.

Alors, se demande-t-on, l’épidémie du coronavirus ne serait-elle pas une bonne nouvelle pour l’environnement ? Malheureusement, gardons-nous de crier victoire trop tôt.

Quand l’urgence éclipse l’urgence

Si l’impact environnemental de la crise est actuellement positif, ce moment de répit accordé à la planète risque d’être de courte durée. Une fois l’épidémie contrôlée, la production et la consommation reparties à la hausse de façon soutenue, les émissions de gaz à effet de serre (GES) augmenteront en flèche. La parenthèse écologique actuelle sera ainsi refermée. Cependant, il ne faudrait pas voir en cette future reprise économique un simple retour au statu quo d’avant la crise. À long terme, certains anticipent un bilan négatif pour la planète. À titre de comparaison, alors que la crise de 2008 avait entraîné une diminution similaire des émissions de GES, celle-ci avait été suivie d’un effet rebond très important. Le risque que les émissions repartent à la hausse est donc fort probable.  

Outre l’augmentation à long terme des émissions, la crise pourrait menacer la planète autrement. De nombreuses études ont identifié une corrélation entre l’intensité d’une crise économique et la baisse de considération pour l’environnement. En résumé, plus une crise économique est forte, plus elle détourne l’attention loin des problèmes environnementaux. Ce constat n’est, en réalité, pas surprenant. Face à l’impératif de sortir de la crise économique, l’urgence du changement climatique serait reléguée en arrière-plan. Les premiers concernés sont les entreprises. En effet, la crise entraîne une baisse du prix de pétrole, liée en partie à une faible demande. Les énergies fossiles deviennent ainsi plus attrayantes et, par conséquent, un repli probable des investissements durables est à craindre. Les sources énergétiques plus polluantes mais moins coûteuses en tireraient donc profit. Par ailleurs, la crise ayant plongé un nombre considérable d’entreprises dans une situation économique difficile, et parfois insoutenable, l’application de certaines normes environnementales sur leur activité pourrait bien être compromise, du moins retardée. En France, les compagnies aériennes ont, par exemple, réclamé de reporter la mise en place de certaines régulations sur leurs émissions de gaz à effet de serre. L’avenir de l’écotaxe française sur la majorité des vols, prévue pour 2020, est donc pour le moment incertain.

De façon plus générale, c’est l’intérêt collectif des citoyens pour l’environnement qui pourrait s’affaiblir. Les conséquences d’une éventuelle crise économique graves, plus directes et tangibles pour la majorité de la population, risquent d’occulter l’urgence du réchauffement climatique et d’asphyxier l’intérêt des citoyens pour l’environnement. C’est ce que le présage cet article alarmiste des Echos. De plus, l’insistance sur l’impact environnemental positif de la crise, si elle offre une source de réconfort en ces temps difficiles, pourrait entraîner une certaine forme de complaisance et d’inaction. À force d’être martelée, l’idée d’une planète qui se régénère petit à petit, en motivant des attitudes d’indifférence, pourrait bien faire du tort à l’environnement. Le rôle des médias, dont la couverture influence grandement le poids des enjeux dans la discussion publique, et dont la présentation d’une situation agit sur l’interprétation qui en est faite, sera sûrement déterminant.

Vers une remise en cause du système?

À une plus grande échelle, cette période exceptionnelle est avant tout informative. Elle nous renseigne sur l’impact de notre mode de vie sur l’environnement, ici dévoilé au grand jour. Difficile, en effet, de ne pas reconnaître le lien presque causal entre production économique et dégradation de l’environnement. Comme le remarque Clément Fournier, rédacteur en chef de la plateforme Youmatter, la crise montre parfaitement que « quand l’économie va mal, l’écologie va bien. Et inversement. » Cette crise expose les failles de notre système. Elle met en exergue l’incompatibilité évidente entre notre modèle économique et nos ambitions écologiques. En instaurant, l’espace de quelques semaines, une période d’arrêt brutal de l’activité humaine, elle offre une porte d’accès à ce que pourrait ressembler un modèle de société alternatif. Un aperçu, en somme, de ce à quoi pourrait ressembler la décroissance. Ce concept cher aux mouvements altermondialistes, vise à réduire la production économique dans un souci environnemental. Dans le même temps, cette idée soulève des problématiques et un tel mode de vie poserait plusieurs défis. Les difficultés des entreprises, les pertes importantes de revenus, et les restrictions de déplacements, sont autant de phénomènes qui signalent les problèmes de l’application pratique d’un modèle de décroissance. Quoiqu’il en soit, cette situation illustre parfaitement la complexité du débat entre partisans et opposants de la croissance. Ce « moment expérimental » devrait servir à informer sur les futurs défis auxquels l’humanité risque d’être confrontée une fois les limites de la croissance atteintes. Sans minimiser les coûts et les dommages engendrés par la pandémie, le moment que nous traversons apparaît, de fait, comme une opportunité de s’adapter.

En effet, comme le dit si bien le vieil adage américain, « every crisis is an opportunity », la crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés nous offre l’opportunité de repenser sérieusement nos modes de vie, et nous donne un temps d’avance pour réfléchir à notre modèle de demain. Elle nous place devant différentes options. La première serait de sortir de cette crise, relancer une économie fulgurante, retrouver notre confort habituel et le rythme effréné d’un système en perpétuelle croissance. La crise provoquée par le coronavirus ne serait alors bientôt plus qu’un souvenir lointain, une pierre d’achoppement sur la longue route du progrès capitaliste. D’un autre côté, nous pouvons voir en cette crise un avertissement, doublé d’une opportunité. Un avertissement sur les limites de notre système économique et sur la nécessité de changer notre modèle de société. Une opportunité de poser les bases d’une véritable transformation sociétale et d’initier une transition énergétique globale. Le choix dépendra des leçons que nous saurons tirer de ce moment historique. Les politiques de relance économique pourraient favoriser soit un retour à la normal aussi rapide que possible, en passant par les énergies fossiles, soit un investissement dans les industries durables. Les gouvernements auront donc un rôle important à jouer.

Alors, le coronavirus est-il une bonne nouvelle pour l’environnement ? À vrai dire, l’incertitude est de mise. Tout dépendra de l’option choisie. Sans réelle prise de conscience, l’histoire risque de se répéter. Si cette crise inaugure une discussion sérieuse sur notre modèle de développement, la période exceptionnelle que nous traversons actuellement pourrait bien ouvrir la voie à un mode de vie plus durable et soucieux de l’environnement. Au lendemain de la crise du coronavirus, notre réaction collective sera empreinte d’une importance historique.

 

Pour aller plus loin :

https://www.lecho.be/opinions/carte-blanche/n-allez-pas-croire-que-le-coronavirus-est-une-bonne-nouvelle-pour-l-environnement/10213496.html

https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/05/02/la-pollution-de-l-air-tue-7-millions-de-personnes-par-an-dans-le-monde-alerte-l-oms_5293076_3244.html

https://www.ademe.fr/

https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/propositions/croissance-verte-vs-decroissance-sortir-dun-debat-sterile

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Damien Jahan

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