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En Algérie, le Hirak à l’épreuve du temps

By March 3, 2021 No Comments

Manifestation du Hirak à Kherrata, Algérie, le 16 février 2021. Source : Agence France Presse

    Il y a deux ans naissait le Hirak, mouvement populaire contestant le système politique en place en Algérie depuis 1962. Affaibli par la répression et une année de crise sanitaire, le mouvement semble désormais renaître à l’occasion de son deuxième anniversaire, alors que de nombreux Algériens descendent à nouveau dans la rue, bravant l’interdiction de se rassembler. 

Initiées en février 2019, les manifestations – à l’époque soutenues par l’Armée Nationale Populaire – avaient conduit au départ du président Abdelaziz Bouteflika, considéré par beaucoup comme physiquement inapte à briguer un cinquième mandat après vingt ans passés à la tête du pays. Au fil des semaines, les revendications du Hirak avaient alors progressivement évolué en faveur de la contestation globale d’un système politique oligarchique, corrompu et opaque. Bien que les dignitaires du régime aient réagi au soulèvement populaire par des mesures politiques à l’instar de la tenue de nouvelles élections présidentielles, ces dernières se sont révélées être des changements de façade. Aux décisions inconstitutionnelles du président par intérim Abdelkader Bensalah a suivi l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune, cacique du régime élu à l’issue d’un scrutin truqué en décembre 2019. La « main tendue » par le nouveau président, marquée par sa rencontre avec des représentants militants, la libération de 76 détenus d’opinion, ainsi que la promesse d’une réforme constitutionnelle, sert en réalité de diversion visant à apaiser les tensions.

Dès lors, des divisions sont apparues au sein du mouvement protestataire. Tandis qu’une partie du Hirak dénonce l’illégitimité du président élu et juge indispensables la formation d’une assemblée constituante et l’organisation de législatives anticipées, certains s’y opposent, arguant que de telles initiatives seraient illégales. Ces dissensions, conjuguées à la pandémie de covid-19 et aux restrictions qui en ont découlé au début de l’année 2020, ont drastiquement freiné le Hirak.

Dès le 17 mars 2020, certaines libertés ont été restreintes, et les marches et rassemblements déclarés interdits. Coupé dans son élan, le mouvement n’a pas réussi à provoquer la rupture souhaitée, le Parlement issu des fraudes n’a pas été renouvelé, et la continuation du combat sur les réseaux sociaux n’a pas été facteur de changement.

Si le mouvement a connu un recul certain suite à la crise sanitaire, la répression ne s’est pas atténuée pour autant. Au contraire, celle-ci a même augmenté depuis la présidence d’Abdelmadjid Tebboune, le régime ayant profité des circonstances et du flou juridique entourant la notion d’atteinte aux intérêts de l’État pour renforcer ses positions. Depuis la fin de l’année 2020, les procès de militants s’enchaînent impétueusement. L’organisation de marches est devenue quasiment impossible, bien que certains rassemblements aient eu lieu à Tizi Gheniff, Tigzirt et Tizi Ouzou pour dénoncer l’acharnement opéré par les forces de polices sur les membres du Hirak. Est aussi régulièrement critiqué le double-jeu des autorités, faisant tantôt l’éloge du Hirak « béni » ayant chassé Bouteflika du pouvoir, tantôt la critique du Hirak « infiltré » souhaitant continuer à inciter à la réforme. Les dirigeants n’ont pas non plus tenu compte du boycott général du référendum constitutionnel de novembre 2020 – qui établit une limite de deux mandats présidentiels et prévoit un élargissement des libertés – pour lequel la participation s’élève à seulement 23,7%. Une fois de plus, les détracteurs du régime critiquent une manœuvre stratégique qui viserait à faire taire l’opposition et n’agirait pas assez en faveur d’une « Algérie Nouvelle ».

Le Hirak a toutefois semblé ressusciter peu de temps avant son deuxième anniversaire, ne manquant pas de faire réagir le président, qui a symboliquement annoncé le 18 février la libération de détenus par grâce présidentielle, ainsi que la dissolution du parlement afin de convoquer de nouvelles élections. Une démarche qui n’a pas échappé aux militants, qui continuent à remettre en cause la sincérité de telles mesures.

Ce renouement des populations avec la rue est loin d’être le fruit du hasard, et encore moins celui d’une simple volonté de commémorer la naissance du mouvement. « Nous ne sommes pas ici pour faire la fête, mais pour vous dégager », clamaient des jeunes à Alger, le 22 février. Le retour du Hirak résulte en réalité d’une série d’évènements qui ont cristallisé la lassitude collective. Le mode de gouvernance n’a que peu changé depuis le départ de Bouteflika, et les figures politiques majeures du pays ne se sont pas renouvelées. Par ailleurs, beaucoup d’Algériens ont vu leurs conditions de vie se dégrader alors que la crise sanitaire a largement fait progresser la précarité. L’économie du pays étant peu diversifiée et ses recettes reposant en grande partie sur la rente pétrolière, la chute du prix des hydrocarbures a engendré une hausse importante de l’inflation ainsi que du taux de chômage qui atteint désormais 15%. La condition étudiante est un autre catalyseur du mécontentement : le décès d’une étudiante dans une cité U d’Alger a suscité l’indignation générale au début du mois de février. Enfin, si de nombreuses condamnations ont été prononcées, aucune n’a eu plus de retentissement que celle de l’affaire Walid Nekiche. Celui-ci dit en effet avoir été torturé et avoir subi des agressions sexuelles de la part des services de sécurité, ces allégations ayant eu une onde de choc considérable sur l’opinion publique.

Dans ce contexte, plusieurs issues sont envisageables pour le Hirak, qui doit sa principale faiblesse à son manque d’unité et de leadership. Désavoué par l’armée, ce dernier peut néanmoins arriver à rassembler autour d’un projet clair en déjouant l’ambivalence du pouvoir, qui a jusqu’à présent visé à accentuer les dissensions internes au mouvement. Le président faisant face à un relatif isolement politique dû à la dissolution récente du parlement et à sa rupture avec le FLN et le RND – partis de la majorité -, le moment paraît opportun pour surfer sur les contradictions du régime qui n’est dorénavant plus en mesure de se rattacher à l’économie de rente pour temporiser.

 

Sources

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