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by Jade Debski Beyrat

« Je viens de prendre une claque !».

C’est ce que m’a dit mon meilleur ami, encore scotché à son siège, tandis que la salle noire s’illuminait et que les spectateurs autour de nous se levaient pour sortir.

J’étais à peu près dans le même état que lui : à la fois surprise, émerveillée, mais aussi intriguée, et surtout subjuguée par près d’une heure et demie d’images, de sons, d’histoires peuplées de personnages dynamiques et originaux. 

The French Dispatch, de Wes Anderson. J’étais impatiente à l’idée de voir ce film, et je n’ai pas été déçue. Le cerveau débordant d’imagination du réalisateur parvient à nous offrir un long-métrage complètement atypique et nouveau. Moi qui croyais qu’il était impossible d’innover dans le cinéma au XXIème siècle, j’ai été, à mon plus grand bonheur, détrompée. Ce bonbon aux couleurs vintage et éclatantes m’a fait bien vite changer d’opinion.

Ce film, c’est d’abord celui d’un amoureux, un amoureux de la France. S’il se joue de tous les clichés à propos de notre pays, des jeunes étudiants révolutionnaires (référence évidente à mai 1968) jusqu’à notre très réputée gastronomie, on ne tombe cependant jamais dans la caricature. Tout est si bien dosé, que la seule chose que l’on ressente, c’est la grande affection de Wes Anderson pour tout ce qui touche, de près ou de loin, à la culture française. 

Mais ce film, c’est aussi celui d’un amoureux de la presse écrite. Il est ainsi largement inspiré du magazine The New Yorker. Du rédacteur en chef à certains articles et rubriques, en passant par les couvertures du journal fictif, nombreuses sont les allusions et références au célèbre hebdomadaire américain. Le tout dans une atmosphère entraînante, enjouée, et excentrique, qui donnerait envie à n’importe qui d’intégrer la rédaction. 

Ce que Wes Anderson réussit brillamment ici, c’est à innover tout en faisant l’éloge d’une forme de journalisme qui est aujourd’hui en déclin, à l’ère des médias numériques et réseaux sociaux. C’est ainsi que The French Dispatch, tout en mettant en scène un recueil de différents articles de fond tiré du journal fictif éponyme, nous plonge au cœur de l’édition du dernier numéro du magazine. Nous apprenons en effet dès le début du film la mort du rédacteur-éditeur en chef, et avec lui la disparition du journal. 

La narration du long-métrage est complètement atypique. Le spectateur ne visionne plus simplement un film : il feuillette et parcourt les pages d’un journal, au fil de diverses rubriques, vignettes, de courtes histoires qui sont en réalité des articles du magazine, parfois en noir et blanc, parfois en couleurs. Ce jeu de couleurs rappelle les magazines de l’époque, où seulement un nombre limité de pages étaient effectivement en couleurs. 

Le spectateur visionne , ou plutôt ‘lit’ cinq rubriques différentes du journal. Certaines comportent quelques longueurs, mais qui sont voulues par Wes Anderson : par exemple, les longueurs de  la rubrique “Art” sont critiquées par les journalistes et le rédacteur en chef. Le fait que même les moments plus lents du film soient voulus contribue encore plus au génie du réalisateur : tout est pensé, réfléchi.

La première rubrique du journal nous fait visiter à bicyclette Ennui-sur-Blasé, ville fictive où se trouve le siège du magazine. La deuxième nous plonge dans le quotidien d’un artiste torturé. La troisième nous fait prendre part à la révolte des étudiants de la ville qui veulent bouleverser les codes sociaux et les habitudes bourgeoises. Avec la quatrième, nous suivons un soi-disant critique gastronomique dont un repas se transforme en une véritable course-poursuite, digne d’un film d’action. En bonus, une partie de la chronique est illustrée par un passage en bande-dessinée, ce qui vient ajouter encore un peu plus à cette impression pour le spectateur de feuilleter un journal. Enfin, le film s’achève par la rubrique « nécrologie », consacrée au rédacteur en chef du magazine qui symbolise, comme mentionné précédemment, la fin d’une ère particulière du journalisme. 

Cependant, le but du film n’est pas de faire la critique de ce nouveau fonctionnement. Il rend plutôt un hommage, avec certes quelque peu de nostalgie, mais surtout beaucoup d’amour, à cette grande époque de la presse écrite. Et ce, avec des personnages hauts en couleurs, incarnés par des acteurs brillantissimes. Entre la force tranquille d’Owen Wilson, le mystérieux de Léa Seydoux, et le sauvage de Benicio Del Toro, en passant par l’incroyable crédibilité loufoque de Timothée Chalamet, l’impassibilité et la justesse de Frances McDormand, ou même encore l’autorité de Bill Murray, tous les ingrédients sont réunis pour donner un film de génie.

Ce film n’est pas à voir qu’une seule fois. Les détails amusants fusent et les références culturelles se multiplient au point qu’il est impossible de tout saisir en un visionnage unique. Mais à la question suis-je prête à retourner le voir une seconde fois ? La réponse est oui, mille fois oui. Parce que quand on est amoureux de la presse écrite, comme semble l’être Wes Anderson, et comme je pense l’être aussi, on ne peut se refuser ce voyage à travers un magazine pétillant, empli de tendresse, de nostalgie, d’absurde et d’extravagance. Au contraire, on y plonge tête la première.  Je suis donc bien prête, comme l’a dit mon meilleur ami, à me “reprendre une claque” encore un certain nombre de fois. Parce que si ce type de claques ne laissera pas de trace sur ma joue, il aura cependant marqué profondément mon esprit d’étudiante amoureuse du cinéma, de la culture française et de la presse écrite.

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