Dans le théâtre antique, le masque des comédiens était désigné par le terme persona. Celui-ci est repris par le psychiatre Carl Gustav Jung, père de la psychologie analytique. Dans Le Livre Rouge, il définit la persona comme “ce quelqu’un qui n’est pas en réalité, mais ce que lui-même et les autres personnes pensent qu’il est”. En effet, cette métaphore du masque social est bien connue : qui sommes-nous réellement, au-delà de ce que nous laissons paraître en compagnie d’autrui ?
Le moi et ses métamorphoses est une énigme sans fin, concomitante à la question de l’identité. Notre masque est-il notre identité ? Il est celui que nous construisons pour nous protéger, pour s’assurer de garder la face lors de nos intéractions. Notre masque est, comme le dit Jung, ce qu’autrui pense que nous sommes, et donc qui nous sommes à ses yeux. Finalement, notre identité est aussi définie par ce que les autres perçoivent de nous. Ainsi, on pourrait dire que nous sommes finalement notre masque.
C’est la question que pose et met en scène la série Zorro, réalisée par Emilie Noblet et Jean-Baptiste Saurel, ayant en tête d’affiche Jean Dujardin et Audrey Dana. Sortie le 23 décembre 2024 et aujourd’hui disponible sur Paramount+, ses 8 épisodes dépeignent une intrigue 20 ans après l’âge d’or de Zorro. Depuis bien longtemps, il n’exerce plus son rôle de vaillant hors-la-loi. Il se fait désormais grisonnant, mais finit, par un concours de circonstance, par reprendre du service. Enfilant ses bottes, sa cape et son masque, Zorro combat les injustices et séduit… sa propre femme !
Le héros et le masque.
Le héros et le masque sont presque indissociables dans les histoires que nous racontons. Bien qu’il soit fait pour dissimuler l’identité, le masque est paradoxalement un accessoire au design reconnaissable. Il est un symbole qui nous permet d’identifier facilement un héros – ou super-héros. Tel est le cas de Zorro, dont la silhouette au visage masqué et au sombrero noir nous fait frissonner d’excitation à sa simple vue. Quelle est la véritable fonction du masque ? Certes, on ignore qui se cache derrière l’apparat de Zorro, mais il ne passe pas inaperçu aux yeux de la population qui l’acclame sur son passage.
La véritable identité de Zorro est – comme les fans le savent – Don Diego De La Vega, désormais maire de la ville de Los Angeles. Alcalde indécis le jour, héros charismatique la nuit, les spectateurs suivent le périple de sa double identité.
Se confronter soi-même.
Le scénario imaginé par Noé Debré et Benjamin Charbit ne manque pas de comique. En effet, Gabriella De La Vega, épouse de Don Diego, succombe au charme de Zorro et finit par tromper son mari avec son alter égo. Cette situation cocasse nous amuse dans un premier temps, mais l’absurde tourne bientôt au vinaigre : Don Diego est blessé de voir que sa femme en aime un autre, mais il se voit empêcher d’abandonner le personnage de Zorro, à travers lequel il continue d’entretenir une liaison avec Gabriella.
La série met ainsi en scène un dilemme cuisant : l’une des deux identités doit se rétracter. Mais laquelle est la vraie ? Don Diego pourrait être “l’originel” puisqu’il est celui qui agit sans se cacher. Toutefois, pourquoi Zorro ne serait-il pas une identité à part entière au même titre que Don Diego : nommé, reconnu et porteur de valeurs qui lui sont propres, il possède tout ce dont une identité doit être constituée.
Ce genre de questionnement tient une portée philosophique dont d’autres auteurs se sont emparés. Hervé Le Tellier, par exemple, a reçu le prix Goncourt 2020 pour son roman L’Anomalie, qui [spoiler!] imagine la réaction d’un groupe d’individus qui se voient dé-doublés lors d’une anomalie au cours d’un vol d’avion Paris-New-York. Un groupe d’experts se charge alors d’organiser et d’amorcer la rencontre de ces doubles avec eux-mêmes. Comment réagiriez-vous si vous vous retrouviez face à vous-même ? Comment affronter sa propre identité ?
Dans Zorro, le conflit d’intérêt entre ces deux identités qui appartiennent à un même corps et esprit, prend de l’ampleur et tord les personnages entre vérité et mensonge. Quand et comment mettre fin aux artifices ?
Un dilemme psychologique derrière lequel se dresse le décor de la révolution mexicaine.
La légende de Zorro se situe au début du 19e siècle, en Nouvelle-Espagne, comme l’avait originellement imaginé Johnston McCulley en 1919. Benjamin Charbit et Noé Debré ont utilisé le contexte historique et installé leur série dans les années 1820, à l’aube des révolutions en Amérique latine, mais également dans l’ère de la colonisation européenne. De nombreux thèmes sont abordés en arrière-plan des scènes héroïques, notamment l’asservissement des populations autochtones par l’alcool.
L’une des dernières scènes est parsemée de drapeaux de la révolution mexicaine. Les derniers mots de Don Diego De La Vega seront “Vive la Révolution !”. En déplaçant le héros de quelques années dans l’histoire, la série produite par Marc Dujardin explore de nouveaux thèmes, tout en nous faisant pouffer de rire.
Une prouesse matérielle et symbolique.
Afin de recréer au mieux les décors de la Nouvelle-Espagne, d’importants moyens ont été déployés. Les équipes se sont déplacées pour retrouver le paysage du désert mexicain, où la ville de Los Angeles a été recréée comme au 19e siècle, après de longues recherches historiques et visuelles.
Le défi a été de taille pour les acteurs qui ont tourné 80 jours d’affilée. Au préalable, les chorégraphies et les duels ont été travaillés et répétés en profondeur auprès de l’armurier Manu Lanzi, tandis que Mario Luraschi aura donné du fil à retordre aux deux acteurs principaux sur leurs chevaux. Toute cette préparation déboucha sur une performance remarquable, qui ravive nos rêves d’enfant et remodernise la légende de Zorro.
En effet, Audrey Dana est fière d’incarner le rôle de Gabriella De La Vega, un personnage qui saura rebondir et se venger de son mari [spoiler!] en se déguisant elle-même en Zorro. Ainsi, la question de l’identité du héros revient au galop. Los Angeles est à la recherche du bandit Zorro et chacun suspecte le premier passant porteur de cape, d’épée ou d’un masque. Chacun se proclame Zorro à ses heures perdues et Gabriella fait tourner en bourrique le Zorro originel – Don Diego. Au même titre que nous avons questionné quelle identité de Don Diego ou Zorro devait prévaloir, aucun se demanderait en quoi le Zorro incarné par Gabriella serait moins légitime d’exister que celui de Don Diego s’il représente toujours les mêmes valeurs de justice et de courage ? Qui des deux Zorros est l’originel, le véritable ? L’ascendance de Don Diego sur le Zorro incarné par Gabriella relèverait-elle seulement du fait qu’il ait été le premier ? Pourtant, Zorro, c’est Zorro : il est toujours le justicier de Los Angeles, il est toujours masqué, agile et doué de son épée, qu’importe qui se trouve sous le masque tant que c’est celui de Zorro.Le fin mot de l’histoire est que Zorro est un symbole, une légende. Il est unique et multiple à la fois. Enfilez un masque, et vous serez Zorro vous-même ! La série, saupoudrée d’humour et de références historiques, nous amène à nous interroger sur la position qu’occupe le héros dans nos perceptions de l’Identité.
Crédit de l’illustration : Paramount+/France Télévisions
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