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Par Héloïse Trouvé

Le 19 octobre dernier se tenait le cinquième Conseil européen, structure de négociation des difficiles termes du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Présidé par les deux ministres du Brexit – respectivement Michel Barnier, défendant les intérêts européens et David Davis, ceux d’Outre-Manche – cette rencontre s’est inscrite dans la continuité des précédentes face à  l’échec de sa mission, celle d’élaborer de nouvelles solutions. Les aspects économiques ont, en particulier, monopolisé les débats et freiné la mise au point d’un compromis. D’autres volets, tout aussi cruciaux, ont été négligés alors même qu’ils requièrent, à ce stade des discussions, une attention spécifique.

En plus de tenir tête à l’Union Européenne (UE), la surveillance est de mise pour Theresa May, au sein même de son parti. Inquiets, certains Tories pourraient s’accorder avec le camp travailliste pour éviter la menace du “ hard Brexit” . A l’opposé, les ultra-libéraux font pression pour obtenir la sortie promise de l’UE malgré les graves conséquences engendrées. Au vu de ces tiraillements, la Première ministre a choisi la diversion. En optant pour le sujet de l’avenir des trois millions d’Européens qui vivent et travaillent au Royaume Unis, Theresa May a mis en cause l’UE pour le manque de solutions apportées. Mais Bruxelles n’a pas manqué de souligner cette action de vaine tentative de chantage visant à obtenir les accords économiques désirés. N’étant pas au premier plan des préoccupations dans ces négociations, les citoyens servent désormais d’oripeaux pour influencer le processus en cours.

Pourtant depuis quelques années déjà, au grand dam des Britanniques, l’Union Européenne ne se réduit pas à sa seule dimension économique. L’Europe a également une ambition sociale commune. En effet, s’il met en porte-à-faux l’ensemble des citoyens d’Outre-Manche installés sur le reste du continent et les ressortissants européens vivant au Royaume-Uni, le retrait touchera également les fonctionnaires européens de nationalité britannique, promis à un avenir des plus précaires au sein des institutions de l’UE. Que deviendront-ils au lendemain du Brexit ? Majoritairement opposés à la sortie de la Grande-Bretagne en juin 2016, ils assistent, impuissants, aux difficiles négociations entamées en mars dernier. Nombreux sont ceux qui ont construit leur carrière au sein de l’UE et qui y ont naturellement envisagé leur avenir. Désormais, ces derniers redoutent un départ forcé. Jean Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, a vainement tenté de les rassurer, leur rappelant la valeur de leur service au sein des institutions européennes par rapport à celui de leur pays. De plus, ces fonctionnaires ne dépendent pas des administrations publiques nationales et ne sont pas, pour la quasi majorité d’entre eux, désignés par les États membres. Leur recrutement relève de concours organisés directement par l’Union Européenne. Tous gardent cependant en mémoire l’article 28 du statut des fonctionnaires européens, stipulant de manière explicite que seuls les ressortissants d’un des États membres peuvent prétendre aux postes de l’Union.

Pour pallier cette menace, dans l’attente de dérogations crédibles, une pratique bien singulière tend à se développer : la demande d’une nouvelle nationalité d’un des États membres. A l’origine de cette démarche, des personnes résidant à Bruxelles depuis plus de cinq ans, satisfaisant ainsi l’un des critères imposés par la Belgique pour l’obtention de la nationalité dans ce pays. Le quotidien belge, Le Soir, affirmait en mars 2017 que 25 000 britanniques résidant en Belgique avaient d’ores et déjà entamé la procédure. Loin d‘être absurde, cette solution est envisagée par une partie des 1 046 fonctionnaires de la Commission européenne originaires de l’autre côté de la Manche. Avant même l’application du Brexit, les britanniques, déjà peu nombreux, ne cessent de diminuer dans les rangs de l’UE. Ils représentent à peine 3,2% de ceux travaillant à la Commission, toutes nationalités confondues, d’après les dernières statistiques fournies par l’institution en janvier 2017. Il est intriguant de remarquer que, de leur côté, les fonctionnaires de nationalité belge, majoritaires au sein de la Commission avec une proportion de 16,1%, ne cessent d’augmenter.

Le regard porté sur ces fonctionnaires européens est controversé ; les points concernant leur rythme de travail, leur rémunération ou encore l’âge de leur retraite restent la première source de discussion. Malgré cette divergence d’opinion, la situation créée par le Brexit reste paradoxale pour ces derniers : alors que le Brexit promettait la « libération » des citoyens britanniques, il conduit en réalité pour certains d’entre eux au sacrifice de leur nationalité dans l’optique de préserver leurs convictions et ambitions européennes. Ont-ils-péché pour être sujets à cette éviction malhonnête ?

Mais les incertitudes vont au-delà de leur poste et de leur devenir au sein des institutions européennes : elles sont aussi économiques. Le budget de la Commission européenne, dont 6% est destiné au financement de ses agents, est établi sur le modèle d’une source commune, alimentée, entre autres, par les ressources sur le revenu national de chaque État membre. Le Royaume-Uni, comme tous les autres États membres contributeurs, ne finance pas des lignes de dépenses spécifiques et en particulier celles des agents de l’UE de nationalité britannique : il pourvoit au budget communautaire dans son ensemble. Se posent dès lors de multiples questions, dont celle du financement de ces agents et de leur prise en charge immédiate par le budget national des retraites de ceux déjà pensionnés. Un tel financement devrait-il être assuré par l’UE ? Quel serait l’intérêt de conserver en son sein de tels agents ? N’y-a-t-il pas un risque pour certains postes clés, stratégiques, financiers et économiques ? Le Royaume-Uni n’a-t-il pas le devoir de les réintégrer dans la fonction publique britannique ? Les questions les plus folles sont parfois lancées mais le dialogue de sourds entamé par Mme May et M. Juncker ne contribue pas à apaiser les tensions. .

Si ces craintes étaient vérifiées, le concept d’unité européenne, déjà bien affaibli par la multiplication des mouvements pro-patriotique en Catalogne, Vénétie et Lombardie ou encore en Flandre, serait réellement fragilisé. A ce jour, l’avenir de ces britanniques est certes encore indéfini mais leur licenciement immédiat semble peu réalisable. Néanmoins, cette possibilité, aussi improbable soit-elle, sonne comme une fausse note au sein de ce concert de négociations. Nous devons nous accrocher à cette idée incertaine mais rassurante, selon laquelle la raison finira par l’emporter, modelant ainsi la tournure des futures relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Cela sera fait  dans le souci de privilégier des rapports apaisés, socialement acceptables, et pas sous le seul prisme économique ou politique, comme l’envisageait encore tout récemment Theresa May.

Image source: BBC News

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