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Variations sur Antigone

Par Sabine Audelin

Chers sciencespistes, il n’aura pas échappé à vos regards attentifs que des auditions pour une certaine Antigone étaient organisées sur le campus au début du semestre. Les auditions passées et le casting désormais au complet, Drama’Thalia a le plaisir de vous présenter ce vendredi 6 et samedi 7 avril, la pièce Antigone de Jean Anouilh en français. De quoi donner envie de s’intéresser de plus près à cette histoire et ses pièces… et à leur désarmante protagoniste !

 

Photo: Camille Ibos//The Sundial Press

 

Antigone ?

Antigone est tout d’abord une héroïne de la mythologie grecque. Fille d’Œdipe et de Jocaste, elle est le fruit d’une union incestueuse et porte la marque d’une lignée troublée. Antigone apparaît notamment dans la pièce du dramaturge grec Sophocle intitulée “Œdipe à Colone”, guidant et aidant son père après que ce dernier se soit, de lui-même, aveuglé et exilé hors de Thèbes. La ville est alors ravagée par une épidémie de peste, causée par la souillure de l’inceste et du parricide d’Œdipe. Mais Antigone est plutôt connue sous une autre identité, en tant que sœur d’Etéocle, Polynice et Ismène. Ces liens filiaux conduisent la jeune femme à commettre un réel tour de force, celui de défier l’autorité de son oncle Créon pour défendre l’un de ses frères. De cette opposition, est née la figure d’Antigone comme symbole de résistance à un pouvoir abusif et arbitraire…

 

L’histoire d’Antigone : entre inceste et sépultures

Suite au suicide de leur mère Jocaste (qui est aussi leur grand-mère) et l’exil de leur père Œdipe hors de Thèbes, les fils Etéocle et Polynice se sont entretués pour prétendre au trône vacant de la cité. Créon, l’oncle d’Antigone et ses frères, est par défaut nommé roi de Thèbes et choisit d’offrir une unique sépulture à l’un des frères, Etéocle, qualifiant par le même temps Polynice de traître et de voyou. Créon met violemment en garde la cité envers ceux qui tenteraient d’enterrer le corps de Polynice, et met en garde contre des représailles violentes. La dépouille du frère d’Antigone est ainsi laissée à la merci des charognards, mais la jeune héroïne ose braver l’interdit de son oncle, se rendant auprès du cadavre de son frère pour tenter de l’ensevelir. Mais un soir, elle est surprise dans son rituel par un garde de son oncle, qui la dénonce auprès de Créon. En dépit de leurs liens familiaux, Créon applique à Antigone les mêmes représailles qu’à n’importe quel citoyen: la jeune femme est condamnée à être enterrée vivante. C’est sans compter sur le dénouement inattendu de la pièce, qui dévoile avec brio un vrai coup de théâtre!

En effet, alors que le tombeau d’Antigone s’apprête à être scellé, Créon apprend que l’amant de sa nièce, qui n’est autre que son propre fils Hémon (jusque-là vous suivez ?) s’est laissé enfermer avec sa bien-aimée. Pris de panique, Créon ordonne qu’on rouvre le tombeau, mais il est déjà trop tard; Antigone s’est pendue avec sa ceinture et Hémon, empli de dépit et de haine envers son père, s’ouvre le ventre devant lui. Créon est même doublement puni car sa femme, Eurydice, ne pouvant supporter la mort de son fils, se suicide à son tour.

 

Variations autour d’Antigone, de Brecht à Anouilh…

Si la figure d’Antigone est si ancrée dans la dramaturgie grecque, son interprétation demeure, quant à elle, polysémique. En effet Antigone, en véritable symbole de résistance, a été reprise et ré-adaptée à plusieurs époques et dans plusieurs versions.

La version la plus connue (le choix d’adaptation de Pauline Mornet, à Sciences Po, en est la preuve!) demeure celle du dramaturge français Jean Anouilh.  « L’Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre (…). Je l’ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre. » déclarait l’auteur. Et quelle tragédie que celle de la Seconde Guerre Mondiale ! La pièce a été représentée pour la première fois en 1944 au théâtre de l’Atelier à Paris, en pleine Occupation allemande. En grand admirateur de Sophocle, Anouilh offre pourtant à sa pièce une résonance particulière à ce climat de guerre. Le dramaturge n’hésite pas à humaniser ses personnages – même dans l’horreur – et à camper des situations ambigües. Son audace se révèle être un pari gagnant pour l’auteur: les représentations de 1944 sont un franc succès et ce en dépit des conditions déplorables des spectacles, rythmés par les coupures de courant et de chauffage.

Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, l’opinion publique et la critique sont divisées entre deux interprétations radicalement différentes d’Antigone. Là où la plupart y voient une allégorie symbolique de l’impétueuse nécessité de Résister contre l’occupant et l’injustice, d’autres trouvent en Antigone la justification de l’ordre établi, et ce à travers l’humanisation du personnage de Créon. Des journaux issus de la Collaboration, tels que Je suis partout, acclament le dénouement de la pièce, reflet de la victoire de l’ordre sur l’anarchie. Si de tels degrés d’interprétation existent, c’est parce qu’Anouilh, contrairement à Sophocle, a choisi de rendre pleinement humains les personnages de la tragédie. L’opposition classique et manichéenne entre la nièce et son oncle est complexifiée dans la pièce d’Anouilh, à travers un très long dialogue entre les deux personnages, chacun tentant de cerner les motivations de l’autre. « Je ne veux pas comprendre. C’est bon pour vous. Moi, je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir. » déclare Antigone, paroles auxquelles Créon répond : « Pour dire oui, il faut suer et retrousser ses manches, empoigner la vie à pleines mains et s’en mettre jusqu’aux coudes. C’est facile de dire non, même si on doit mourir. Il n’y a qu’à ne pas bouger et attendre. Attendre pour vivre, attendre même pour qu’on vous tue. C’est trop lâche. ». Les vices des deux personnages sont tout autant mis en valeur; Antigone n’apparaît plus seulement comme héroïque mais aussi comme têtue, bornée et parfois immature dans son refus d’écouter Créon. A l’inverse, Créon apparaît sous une version plus clémente que dans la pièce antique, plus sensible mais pris sous le joug du pouvoir, dont lui incombent des responsabilités allant à l’encontre de la morale.

La force de la pièce de Jean Anouilh repose en effet sur ses variations possibles dans l’interprétation: que cette-dernière soit historique, politique ou symbolique, Antigone est un texte qui fait réfléchir à travers les époques. A noter, que le dramaturge allemand Bertolt Brecht a lui aussi proposé une réécriture d’Antigone, dans le contexte historique de la Seconde Guerre Mondiale et plus précisément de l’Allemagne nazie.

 

…jusqu’à l’Antigone de Sciences Po!

La voix de Pauline Mornet, étudiante en première année au sein du programme Euro-Américain, se fait sentir et vibre lorsqu’elle parle d’Antigone, pièce qu’elle a choisie de mettre en scène à Sciences Po. Preuve que cette héroïne antique est, finalement, on ne peut plus contemporaine.

En tant que metteuse en scène, Pauline souligne l’importance du contexte historique sous lequel la pièce à été écrite et jouée. Pour contourner la censure, Anouilh a délibérément misé sur l’ambiguïté du texte, qui pouvait être interprété aussi bien comme « pro-collabo » que comme « pro-Résistant ». Pauline se réjouit de cette équivocité, qui permet une très grande flexibilité à la mise en scène.

Photo: Camille Ibos// The Sundial Press

 

En ce qui concerne le personnage d’Antigone en lui-même, l’étudiante insiste sur l’omniprésence du champ lexical du corps dans la pièce d’Anouilh. Même réactualisée, l’Antigone d’Anouilh et surtout ses personnages masculins, à l’instar d’Hémon ou Créon, envisagent Antigone comme une possible mère. Le père et le fils tentent de raisonner Antigone en invoquant la maternité comme refuge salvateur, qui dissuaderait l’héroïne de poursuivre sa rébellion. Dans l’entêtement d’Antigone à mener à bien sa révolte, Pauline voit le rôle du corps en tant que force de résistance.

Enfin, il est cher à la metteuse en scène de conserver la neutralité du texte d’Anouilh dans sa façon d’analyser les personnages et surtout de ne pas en faire une pièce « pro-Antigone » ou « pro-Créon ». Néanmoins, la jeune fille s’autorise à accorder au Chœur, joué par Tom Durepaire, un rôle plus important que dans le texte original. Elle souhaite en faire un personnage à part entière, où comme dans un procès, le Chœur, narrant l’histoire d’Antigone, pourrait prendre conscience de sa propre place au sein d’un monde binaire, celui de la France occupée et scindée en deux camps, « collabos » et Résistants.

 

Quand ? Vendredi 6 avril de 10 à 12h et Samedi 7 avril de 10 à 12h / 15 à 17h

Combien ? 5 euros (vente dans le Glass Hallway le midi)

Où ? The Old Refectory

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