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Woman on the Edge of Time

By October 8, 2018 No Comments

Par Maeve Cuccio

C’est une histoire d’utopie, de libertés individuelles, de paix collective, de sérénité pure. Les mots dansent sur la page et plantent le décor de ce monde. Dans Woman on the Edge of Time, Marge Piercy nous transporte dans les rêves de Connie, une quadragénaire portoricaine enfermée dans un hôpital psychiatrique dans les États-Unis des années 1970. En opposition avec la société dans laquelle elle évolue, Connie imagine Mattapoisetts, un havre de paix dans un monde post-capitaliste où tout est partagé. Elle nous entraîne dans cette ambiance à la fois étrange et rassurante, dans un univers qui défie toute convention sociale et qui s’avère quelque peu déstabilisant. Et à mesure que s’égrènent les pages et que se dessine cette utopie, une question s’impose à nous : la clé d’un monde meilleur serait-elle de refuser les codes sociaux et préjugés, de cesser de vouloir tout catégoriser ?

Le personnage de Connie lui-même nous invite à la réflexion. Parce qu’elle est une femme, et Latina de surcroît, Connie est constamment traitée comme un être dépendant. Elle est enfermée dans un hôpital psychiatrique suite aux déclarations d’hommes violents et profondément dominateurs ; son traitement lui est administré par une série de médecins au complexe de supériorité flagrant et à la condescendance frappante. De par sa condition de femme de couleur, Connie se voit privée de libre arbitre. En imaginant Mattapoisetts, elle fuit donc cette réalité et lui cherche une alternative. C’est ainsi que le lecteur se trouve plongé dans un monde fait de libertés individuelles, où nul n’est appelé à se conformer à des stéréotypes ou à être labellisé. Marge Piercy dépeint une société où il n’y a plus de distinction de genres, de classes ou de races, une société où chaque être humain est libre de choisir qui il ou elle veut être, de décider de son prénom et d’en changer, et d’avoir des relations sociales n’obéissant à aucune convention.

La condition de Connie permet également à Marge Piercy d’aborder une question essentielle : qu’est-ce que la folie ? Si Connie est enfermée dans cet hôpital et droguée nuit et jour pour assurer sa passivité, ses divagations et réflexions sur l’environnement dans lequel elle évolue révèlent qu’elle est en réalité extrêmement perspicace. Paradoxalement, alors qu’elle est considérée comme malade mentale, Connie est moins soumise et moins manipulée par la société. À travers son œuvre, Marge Piercy dépeint donc une société qui considère que toute remise en question de l’ordre établi est un signe de folie ou maladie mentale. Une femme ne peut donc pas conserver sa liberté dans un monde patriarcal sans être catégorisée comme malade mentale. Marge Piercy montre également que, curieusement, labelliser les individus comme étant “malades mentaux” et les marginaliser est susceptible de les rendre fous : nos sociétés créent ce qu’elles cherchent à éliminer.  

En opposition, Mattapoisett nous permet de rêver à une société stable, loin de la frénésie du capitalisme. À mesure que les pages tournent, on réinvente une vie qui n’est pas basée sur une vision compartimentalisée et égocentrée du monde. On revient à des valeurs de partage et de tolérance : chaque personne cultive son propre jardin et partage les récoltes avec ses voisins, chacun se contente de ce dont il ou elle a besoin et ne cherche pas désespérément à toujours plus posséder. Mattapoisetts illustre aussi l’idée que l’on peut vivre sans toujours rechercher le profit : ses habitants prennent le temps de se retrouver et de profiter les uns des autres, ils sont en harmonie avec la Nature et chacun s’épanouit dans au moins un domaine artistique. La liberté d’expression et la liberté d’entreprendre sont totales ; il n’y a plus aucune nécessité de rendement.

En dépeignant ce monde utopiste, Marge Piercy nous confronte aux divers préjugés que nous avons tous plus ou moins intériorisés. Elle veut provoquer une prise de conscience et dénoncer les torts de nos sociétés modernes, où tout est catégorisé et labellisé. En somme, elle offre une réflexion politique et philosophique susceptible d’intéresser un très grand nombre de sciencespistes ! Pourtant, une question subsiste: si vraiment nous parvenions à éliminer tout standard, code, règle ou préjugé, le monde serait-il vraiment meilleur ? La réponse de Marge Piercy est extrêmement positive mais peut être nuancée : le monde dans lequel nous évoluons est bien trop complexe pour que les êtres humains le comprennent dans son entièreté. Les labels, conventions, et mots permettent donc de créer des repères pour mieux l’appréhender. L’ordre est contraignant mais il protège également les individus. L’absence de catégorisation à Mattapoisetts peut donc sembler extrême. Au-delà de sa surface, ce monde rêvé est-il donc vraiment une utopie ? Ou n’est-ce pas plutôt que chaque utopie a, au fond, sa part de dystopie ?

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