En 2007, une grève des scénaristes de 100 jours à Hollywood impacte l’entièreté des productions hollywoodiennes, de la série Lost jusqu’à l’annulation du Justice League de George Miller. Le coût de cette grève a été estimé à 2 milliards de dollars, un chiffre astronomique mais rien à côté de ce qui attend Hollywood ces prochains mois. 

Cette année, une grève d’une ampleur sans précédent depuis 1960 réunit les syndicats de scénaristes et d’acteurs contre les studios hollywoodiens et promet des conséquences majeures sur le monde du cinéma.

La grève actuelle a commencé le 2 mai 2023 et est menée par le syndicat WGA (Writers Guild of America), représentant les scénaristes de Hollywood. Après avoir manifesté pendant 2 mois devant les plus grands studios, les scénaristes ont été rejoints par les acteurs le 14 juillet dernier. En concordance avec WGA, le syndicat SAG-AFTRA (Screen Actors Guild‐American Federation of Television and Radio Artists) a voté la grève à l’unanimité. 

Alors à partir de juillet, scénaristes comme acteurs ont entièrement cessé de produire du contenu. Si quelques tournages continuent, promulgués par certains studios indépendants respectant les conditions des syndicats, Hollywood est à l’arrêt. 

Tous les acteurs et scénaristes sont en grève. Les acteurs d’Oppenheimer, Cillian Murphy et Matt Damon, quittent la salle lors de l’avant-première du film, à l’heure où le début de la grève est prévue, en signe de soutien. D’autres clament un soutien public et offrent des dons (Meryl Streep, Leonardo DiCaprio, Steven Spielberg) ou participent activement aux côtés des grévistes, comme Rose Mary Harris, du haut de ses 95 ans. 

 Une vraie bataille entre les acteurs et scénaristes hollywoodiens et les studios représentés par le syndicat AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers). D’après L’Humanité, le studio Universal est allé jusqu’à couper les arbres en face de son studio pour empêcher les grévistes d’avoir de l’ombre. Plusieurs patrons de studios ont tenté d’ignorer la grève et d’attendre que les artistes n’aient plus d’autre choix que de reprendre leur travail pour survivre, jugeant leurs demandes «irréalistes.» Mais quelles sont elles ? 

Les deux syndicats portent des demandes relativement similaires. Ce sont d’abord des revendications salariales. D’après SAG-AFTRA, environ 87% des acteurs ne gagnent pas plus de 26 000 dollars par an, moins que le SMIC américain. Des travailleurs qui n’ont donc pas accès à la sécurité sociale et se voient contraints de recourir à un job supplémentaire pour joindre les deux bouts. 

Les syndicats demandent des régulations additionnelles sur les plateformes diffusent des productions hollywoodiennes. Aujourd’hui, ces dernières proposent des séries courtes de six à dix épisodes contre les 24 d’il y a quelques années, représentant une perte immense pour les scénaristes et les acteurs, qui ont, malgré leur travail pour des productions importantes, moins de travail et sont moins rémunérés. Ce système pousse les artistes dans une précarité et une instabilité financière importante. 

Le cœur des revendications se trouve cependant dans les “residuals,” soit les droits d’auteurs touchés par les artistes à chaque diffusion de leurs œuvres. Durant l’âge d’or des séries télévisées, certains acteurs et scénaristes pouvaient gagner leur vie pendant plusieurs années avec un seul rôle grâce à la rediffusion de leur travail, à l’image des acteurs de Friends qui continuent de gagner leurs 20 millions de dollars par an. 

Mais à l’ère du streaming ces indemnités n’existent presque plus. Les plateformes ne partagent plus les chiffres réels de diffusion et choisissent elles-mêmes le montant des residuals, qui demeure souvent extrêmement faible. Bryan Cranston, acteur de Breaking Bad, l’une des séries les plus regardées de Netflix, a expliqué ne plus recevoir de droits d’auteur depuis que la série est sur la plateforme. Les artistes revendiquent donc un retour de ces droits résiduels.

Les studios ont d’abord ignoré ces demandes et et ont refusé toute négociation. 

Hollywood tout entier a été touché, promettant une année cinématographique difficile en 2024. 

L’ampleur de la grève étant sans précédent, les conséquences le semblent également. La grève des scénaristes et des acteurs touche plus de 350 studios hollywoodiens, et entraîne de fait le retard et l’annulation de la production de nombreux films et séries en cours. 

Avant l’entrée des acteurs en grève, la majorité des tournages pouvaient avoir lieu grâce à des scripts écrits par avance. À présent c’est la qualité de ce travail qui est menacée. Certaines scènes doivent être réécrites en plein tournage pour les adapter aux conditions réelles et aux acteurs, ce qui n’a pas été possible durant la grève des scénaristes. 

Certains gros projets sont nettement retardés, comme la saison 5 de Stranger Things. Les frères Duffers ont ainsi précisé sur X: « Bien que nous soyons excités à l’idée de commencer à tourner avec nos équipes et nos acteurs, ce n’est pas possible pendant cette grève. Nous espérons qu’un accord sera conclu bientôt pour que nous puissions reprendre le travail ». 

Des retards qui s’accumulent et menacent de toucher la production des films comme Dune 2, Gladiator 2, Deadpool 3 et des séries populaires comme Euphoria, The Last of Us ou encore Emily in Paris.

Des annulations coupent court au processus de production, notamment du côté des plateformes de streaming. Une enquête de Variety montre que le nombre d’annulations des plateformes de streaming a augmenté ces derniers mois. Cela pourrait entraîner des choix de projets moins risqués et redondants des studios dans les prochains mois pour faire face à la crise. Paramount a déjà annoncé ne continuer à produire que les licences déjà connues du grand public. L’offre de contenu des plus importants studios d’Hollywood risque donc de diminuer et d’être moins innovante.

Des conséquences touchant à toute l’industrie du cinéma

La grève des scénaristes et des acteurs a entraîné la syndicalisation des artistes d’effets spéciaux de Marvel et Disney le 13 septembre. Ces artistes veulent améliorer leurs conditions de travail désastreuses (pas de jours de repos, 18h de travail par jour). La grève de 2023 se pose donc en catalyseur de d’autres revendications.

Il ne faut également pas sous estimer l’impact économique conséquent de ces grèves. D’après La Tribune, les studios perdent des centaines de milliers de dollars par jour pendant la grève à cause de la location des lieux de tournage. Certains analystes prévoient un ralentissement des revenus pour Disney et Warner Bros entre octobre et décembre. Cela pourrait engendrer une augmentation des prix des abonnements des plateformes de streaming. De plus, le manque de promotion des œuvres déjà sorties a entraîné des pertes estimées à 15% par certains analystes du box office hollywoodien. Ces conséquences économiques vertigineuses pourraient durer dans le temps et impacter d’autant plus les consommateurs.

Des accords qui changent la donne?

L’accord trouvé entre la WGA et l’AMPTP le 27 septembre change la donne, et entraine la fin de la grève des scénaristes. Cet accord exauce la plupart des demandes des scénaristes. 

Désormais, les plateformes de streaming devront partager le nombre de minutes regardées pour toutes leurs œuvres aux syndicats, pour que les scénaristes gagnent à nouveau des droits d’auteurs. 

Si une œuvre est regardée par plus de 20% des abonnés de la plateforme, les scénaristes bénéficieront d’une prime (entre $9000 et $16 400 pour une série, $40 500 pour un long-métrage au budget de plus de 30 millions de dollars).

Un quota minimum de scénaristes est mis en place (qui dépend de la longueur des séries). Ces scénaristes devront être embauchés pour au moins 10 semaines.

Les IA ne pourront plus écrire de scénarios et ne pourront pas réécrire le scénario d’un scénariste.

Plus d’un mois plus tard, le 9 novembre, c’est au tour des acteurs de SAG-AFTRA d’établir un accord de principe avec l’AMPTA. Cet accord entraînera, d’après Le Figaro, l’augmentation la plus importante des 40 dernières années du salaire minimum des acteurs. Courrier International cite également une meilleure rémunération pour les programmes diffusés en streaming, ainsi qu’une meilleure protection des artistes en matière de consentement par rapport à l’utilisation de l’intelligence artificielle.

Somme toute ces grèves ont été une réussite pour les scénaristes et acteurs. Elles pourraient bien porter le drapeau d’un nouveau départ pour Hollywood permettant d’assurer de meilleures conditions de vie et de travail pour les artistes.

La force de leur solidarité a entraîné leur succès et montre, comme Joe Biden l’a affirmé, que “la négociation collective, ça marche.”

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