Cover photo credit: The Hindu

Les fêtes de fin d’année ont eu un air différent en Serbie cette année. Les élections parlementaires et municipales dans un certain nombre de villes ayant eu lieu le 17 décembre, le pays a accueilli la nouvelle année dans une atmosphère incertaine. Les élections législatives, annoncées seulement un an après les précédentes, se sont déroulées avec de nombreuses irrégularités d’après les organisations observatrices locales et européennes, tel que l’OSCE. Certains gouvernements étrangers, comme en Allemagne, ont également exprimé leur inquiétude par rapport au processus électoral. Ces irrégularités incluent les conditions de la campagne jugées injustes, en raison du contrôle de la plupart des médias par le régime au pouvoir, les pressions exercées sur les électeurs et les malversations concernant des listes électorales avec les fameux “électeurs fantômes”.

Alors que SNS, le parti progressiste serbeau pouvoir, s’est assuré une majorité absolue au Parlement avec 46,75% des voix, ces irrégularités sont soupçonnées d’avoir impacté le résultat des élections locales, notamment à Belgrade. Dans cette ville, le jour des élections, des bus sont venus de différents coins du pays, et même des pays voisins, comme la Bosnie-Herzégovine, pour transporter les électeurs. Le problème : selon la loi serbe, les citoyens ne peuvent pas voter aux élections locales à moins qu’ils n’habitent sur le territoire de la ville en question. Également selon la loi serbe, vous n’êtes autorisés à avoir qu’un seul lieu de résidence. Cependant, les citoyens serbes venant de Bosnie-Herzégovine ont pu voter lors des élections locales à Belgrade. Ce type de manipulations électorales est estimé être à l’origine de la différence de 5% entre le résultat du régime (39,34%) et de l’opposition pro-européenne (34,27%) dans la capitale.

L’opposition a dénoncé ces fraudes dès le lendemain des élections et a demandé l’annulation des résultats électoraux. Lorsque le président et les commissions électorales ont persisté à affirmer la légitimité et la régularité des élections, les manifestants ont rempli les rues. Plusieurs leaders d’opposition sont entrés en grève de la faim. Des manifestations devenues parfois violentes, comme dans la nuit du 24 décembre, quand les leaders d’oppositions ont essayé d’entrer dans le mairie de Belgrade, soutenus par les manifestants rassemblés devant le bâtiment. La nuit s’est terminée par des fenêtres et portes cassées et une intervention des unités spéciales de police. L’opposition, les journalistes et les ONG ont notamment dénoncé l’utilisation excessive de la force et les arrêts de nombreux jeunes manifestants, poursuivis par la suite pour le “renversement violent de l’ordre constitutionnel.”

Le président a accusé l’opposition et les manifestants d’essayer de “déstabiliser” le pays. En même temps, les représentants du régime et certains partis pro-russes ont dressé des parallèles avec le Maïdan en Ukraine en 2014, où les partis pro-européens, moteurs majeurs des protestations, ont été accusés de servir les intérêts occidentaux. La plupart des démocraties occidentales n’ont pas encore offert un soutien ouvert à l’opposition, un maintien du statu quo dans le pays semblant être dans leur intérêt.

La situation en Serbie en ce moment est complexe et les agitations post-électorales s’inscrivent dans une longue lutte pour la démocratie dans le pays. En mai 2023, deux massacres inédits ont bouleversé le pays, occasionnant pour l’un d’entre eux la mort de 9 enfants dans une école primaire. Ces événements ont profondément choqué la société et ont déclenché une série de manifestations, sous le slogan “Serbie contre la violence,” dénonçant la politique gouvernementale et ses nombreux scandales ainsi que la violence présente dans toutes les sphères de la société, des médias aux institutions. Les manifestations ont persisté pendant l’été et ont rassemblé un grand nombre de gens depuis le fameux 5 octobre 2000, quand le président Milosevic a dû reconnaître sa défaite électorale. Par conséquent, de nombreux parallèles ont été faits avec les mobilisations contre ce régime autoritaire dans les années 1990. Un air d’espoir après 10 ans de règne de Vučić se ressentait. Maintenant, il semble que la volonté d’un changement n’ait pas été bien reçue par l’opposition et les demandes adressées aux autorités n’ont pas été trouvées de réponses.

Au-delà des problèmes internes, les tensions entre la Serbie et le Kosovo demeurent un sujet très actuel. Ce conflit irrésolu est un levier politique important pour le président Vučić qui joue sur le sentiment nationaliste de ses électeurs quand il a besoin de détourner leur attention des échecs de son parti sur le plan interne. Après les incidents au nord du Kosovo, fin octobre, qui ont fait quatre victimes, l’UE a considéré l’introduction de sanctions contre les leaders serbes. Au vu de l’instabilité dans la région et le contrôle des médias et des institutions par le régime, la candidature à l’Union Européenne de la Serbie n’a pas beaucoup progressé. C’est dans une telle atmosphère qu’ont eu lieu les élections en décembre. 

Les événements post-électoraux ont amené un nouvel acteur sur la table politique : les étudiants. Déçus par les institutions et le manque de réponse cohérente de l’opposition, ces jeunes ont commencé leur propre lutte contre la fraude électorale en organisant plusieurs blocages dans la capitale. Un engagement qui a donné un nouvel espoir aux acteurs pro-démocratiques dans le pays et les comparaisons avec des manifestations étudiantes en 1996 et 1997 ont été faites. Ces analogies historiques reflètent les espoirs et objectifs des mobilisations actuelles : la fin d’un régime qui nuit au développement democratique du pays.

De l’autre côté, l’engagement des jeunes a également révélé jusqu’où le régime est prêt à aller dans son intimidation de l’opposition. Le président, se sentant menacé, a intensifié ses efforts pour garder le pouvoir en amplifiant l’utilisation de la force et de la surveillance de l’opposition, y compris des plus jeunes, et en réprimant le droit de manifester. Entre le contrôle des médias principaux par le gouvernement et les institutions inactives, l’opposition semble rester sans moyens de continuer sa lutte dans le cadre institutionnel. Les élections sont terminées, les résultats officiels annoncés, mais reste à voir si l’opposition va accepter de faire partie des institutions et d’exercer son mandat dans les circonstances actuelles.

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