On dit souvent que le septième art englobe toutes les autres formes d’art : la courtoisie des arts du spectacle s’entremêle avec la rigueur des belles lettres, imprégnant cet amalgame sur le vaste territoire du cinéma. Ce dernier est ensuite embelli avec des voix qu’entraîne l’agglomération de milliers personas qui poursuivent tous leur propre chemin à un différent rythme, en se scindant et se croisant de temps à autre. 

Au-delà d’être le terrain des arts, le cinéma, c’est celui des jeux créatifs. C’est sa tâche assignée de mettre en œuvre une création, que ça plaise ou non au peuple. Ainsi, le pouvoir conceptuel qu’il possède se révèle dans le comportement humain, en l’habilitant ou le contraignant. 

Les scènes subséquentes épanchent le signifié en tant qu’un signifiant qui est sujet aux diverses interprétations à travers le public. Chacun y applique son filtre unique, de sorte à extraire ce dont il a besoin pour nourrir son être. Pour moi, le cinéma est le seuil où je m’abrite de manière à échapper au vacarme de la vie quotidienne. Son élégance réside dans le fait qu’il parvient à démasquer le plus dur au même temps que le plus doux, créant des contrastes qui ne piquent point aux yeux grâce à sa finesse. Les jeux de lumière, la fusion des sons variés, le fouillis des couleurs qui se chevauchent.. Tous ces éléments convergent afin de distiller la magie du septième art, qui à son tour s’empare des spectateurs. 

Bien que le cinéma arrive à engendrer d’innombrables états d’esprit chez les individus, c’est récemment “l’angoisse” qui m’intrigue davantage. Des regards fixes provenant du bout de l’âme, des lèvres sèches qui frémissent, des doigts flottant dans l’air, voire une froideur pénétrant dans l’individu à travers l’écran… Le cinéma réussit à faire traverser les sensations à force des jeux corporels, grâce auxquelles il attire ses spectateurs vers ses sujets. Parfois même un son, un geste tout simple ou bien un sourire narquois y suffisent. 

Cela dit, avant que le cinéma français ne connaisse les couleurs, à l’époque où tout demeure en noir et blanc ; “Pickpocket” de Robert Bresson, datant de 1959, ouvre la voie pour des films chez lesquels le manque des couleurs est compensé par la rigueur des regards, l’habileté des mains et la pointe des pieds toute légère. Issu de la réinterprétation du roman Le Crime et le Châtiment de Dostoïevski, ce drame se base autour de l’ingéniosité de Michel, voleur à la tire qui s’en tire sans être arrêté, manque de preuve. Privé d’articuler des mots émouvants et de se comporter sincèrement même devant ceux qui lui sont les plus proches, Michel trouve une passion dans la maîtrise de la dextérité manuelle. Ce dernier lui en fait un voleur professionnel dont on cherche l’identité. Malgré un sentiment d’amour nouvellement évoqué dans sa vie qui lui a été étranger, le pickpocket ne peut pas sortir de ce cycle vicieux : le vol s’est gravé à la profondeur de sa personnalité. 

Plus l’angoisse d’être pris en flagrant délit le suffoque, plus il a tendance à voler. L’aliénation de la société qui a mis Michel dans cette situation en premier lieu, le pousse davantage dans les marges, jusqu’ à ce qu’il soit trop tard quand il réalise que l’amour aurait été son recours.  L’exclusion, l’isolement et la pénurie de tendresse ; l’angoisse se déploie plus souvent sous forme d’une âme bousculée par une absence.

“Je suis une maison vide sans toi.” 

Cette réplique emblématique reflète bien le fardeau émotionnel de la protagoniste de Cléo de 5 à 7, qui donne son titre au film. Cléo, jeune chanteuse qui souffre d’une soif d’amour brûlante, convaincue d’être damnée par un destin incontournable. Elle anticipe de tout son cœur la superficialité des gens qui l’entourent, souriant à son visage alors qu’ils la dénigrent. Cléo a donc beau feindre la sympathie pour ces gens du quotidien, avec qui elle n’a pas la moindre affinité en réalité. Sa vie intérieure connaît un trouble exceptionnel lorsque la chanteuse apprend qu’il se peut qu’elle est atteinte d’un cancer, d’où le nœud de l’intrigue se provoque. 

Le caméra la suit ensuite dans les rues de Paris pendant deux heures, jusqu’à ce que Cléo récupère les résultats du dépistage. Toujours en noir et blanc, les magasins, cafés et chambres entrent dans le champ de vision ; mais l’angoisse demeure où qu’elle aille. Le temps passe alors que Cléo se promène, internalisant chaque instant davantage la sensation de ne pas avoir pu vivre une vie épanouie. En dépit d’une grande réputation, un beau corps et une belle voix ; la jeune femme a du mal à se sentir vivante. La crainte de mourir l’envahit petit à petit, ce qui atténue sa joie d’exister mais d’autre part la fait languir de l’amour. Cléo fantasme donc d’être aimée par quelqu’un qui connaîtrait sa valeur, pour qui, elle aurait à son tour les mêmes sentiments. Quelqu’un qui colorait sa vie qui est devenue “banale” malgré toute sa flamboyance. 

Toutefois, même après que le cinéma se soit servi d’une palette de couleurs, le sentiment d’inquiétude persiste. Entouré du bleu de la mer vaste, du rouge des fruits d’été mais  emmitouflé du gris de la solitude… “Le Rayon vert” d’Eric Rohmer fait ainsi preuve d’un tel spleen tout au centre des jolis paysages de Biarritz. Delphine qui souffre de l’espoir éphémère  que donnent les instants transitoires, cherche à capter le permanent dans sa vie. En observant les gens autour d’elle, Delphine essaie en vain de se positionner quelque part parmi ce tumulte. Le va-et-vient des individus qui apparaissent dans son chemin ne fait qu’aggraver son sentiment d’aliénation. Mis à part les rencontres successives, elle sent sa solitude de toute sa puissance, le soir venu, seule dans sa chambre. 

Ce n’est qu’à un moment donné du jour, lorsque le soleil se baisse à l’horizon, qu’un frisson insolite saisit tout son corps. Delphine se trouve tournée vers la scène qui s’étend face à elle : Le coucher du soleil se déplie en rayons de multiples couleurs, d’où le vert : le rayon vert qui succède à la disparition du soleil à l’horizon. Un murmure sort tout d’un coup de sa bouche, “Lorsque l’on voit le rayon vert, on est capable de voir dans son cœur et celui des autres” et ensuite, le silence scelle ses lèvres de nouveau. 

Des fois, ce silence reste tellement en vigueur qu’il paraît impossible de franchir les barrières psychiques qu’il construit. De ce fait, le silence domine l’expression en la restreignant, ainsi tout sentiment est affaibli avant de connaître son climax. “La Bête” de Bertrand Bonello met en question ce “vide” en être humain, créé et propagé par l’intelligence artificielle dans un futur proche. En jugeant l’existence des émotions humaines comme une menace, on cherche à rafraîchir la mémoire. Ce faisant, une clarté de l’esprit est visée à être engendrée où l’angoisse n’est pas présente. Néanmoins, à quel point la technologie peut-elle véritablement exercer un contrôle face aux désirs irrépressibles ? Les retrouvailles avec ceux qui leur ont marqué la vie, que ça soit dans de différents contextes ou non, continueront à provoquer l’angoisse chez les individus. En suggérant un domaine potentiel dans lequel l’AI pourrait échouer à apaiser les bouleversements psychiques, la “Bête” souligne le côté invincible de l’être, ce qui le rend bien humain.

 

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