By Marion Lefèvre
Le dimanche 22 novembre, suite aux attentats parisiens de la semaine précédente, un moment de recueillement a été organisé par initiative citoyenne. Malgré les difficultés initiales liées à l’organisation de la manifestation (notamment l’interdiction de la marche par la mairie), environ 400 personnes (chiffres de l’Union / l’Ardennais) se sont massées sur les promenades de Reims, aux abords du monument érigé en mémoire des martyrs de la Résistance.
J’arrive, aux alentours de 14h30, aux promenades. Autour de moi, des groupes éparses, des Rémois de tous âges et de toutes origines, qui se cachent pour l’instant derrière bonnets et écharpes, rendus nécessaires par le froid mordant. Personne n’ose parler fort, on s’épie un peu.
J’aperçois au loin Elie Coquillard, le jeune homme à l’origine de l’évènement Facebook intitulé « Marche à Reims en hommage aux victimes ». De marche, l’évènement se transforme de facto en recueillement contemplatif et solennel. Peu à peu, les Rémois s’approchent et se massent contre les grilles qui entourent le monument, sortant de leurs poches et sacs bougies, photos, poèmes… Les hommages en tous genres colonisent les grilles de l’austère enclos en l’honneur des martyrs tombés il y a plus d’un demi-siècle. Ce bric-à-brac commémoratif mêle l’emblème de cette nouvelle résistance, cette Tour Eiffel incrustée dans le symbole de paix, poèmes artisanaux et fleurs fraîchement achetées aux commerçants des environs.
Les gorges se resserrent quand, spontanément, une Marseillaise un peu mouillée et tremblante jaillit de cette foule en deuil. Bonnets et écharpes se font soudainement moins envahissants et laissent entrevoir les sourires et les larmes des Rémois qui m’entourent. Ados en jogging, étudiants et étudiantes, jeunes actifs et retraités, enfants, et même bébés parfois, femmes voilées… Tous sont assemblés ici pour témoigner d’une solidarité caractéristique des temps de crise. Clivages et différences sont momentanément mis de côté. « C’est donc ça, l’union nationale », je pense en parcourant les visages tirés du regard. Certains brandissent des pancartes pacifiques, d’autres parcourent la foule, offrant leurs embrassades anonymes en soutien muet aux plus émus.
Le rassemblement prend un tour inattendu quand deux personnes, un homme et une femme, brandissent silencieusement deux pancartes au-dessus de leurs têtes. « Je m’appelle Aladin. Je suis Syrien », explique l’un. « Je suis réfugié en France depuis 2 ans. On est dans le même sac, les Syriens et les Français. En Syrie, ça fait cinq ans qu’il y a des problèmes. Les civils meurent tous les jours. Cent cinquante personnes minimum, les femmes, les enfants, tout le monde. »
Il continue et déroule la réalité de son pays en guerre : « En Syrie, il n’y a pas que Daech et Bassar El-Assad. Il y a des civils aussi. Daech, c’est fabriqué par Bachar El-Assad. A la fin, c’est à son avantage. Vous voyez ? Il y a des terroristes chez nous, il pourra dire. Mais c’est lui qui fabrique le terrorisme en Syrie. Avant, il n’y avait pas du tout de terrorisme en Syrie. Je suis solidaire avec les Français, toujours. La France, elle donne beaucoup. Je suis en France, elle m’aide beaucoup pour le logement, pour mes enfants… Ils peuvent vivre maintenant. Mes enfants sont à l’école, tous les jours. Qu’est-ce vous voulez que je vous dise… C’est normal. C’est mon deuxième pays. »
Nada Mhamed, elle, s’est échappée de Syrie trois ans auparavant. En cet après-midi pluvieux, elle est sortie pour « exprimer la solidarité avec les familles des victimes des attentats à Paris ». Pour elle, « c’était un crime contre toute l’humanité » . En tant que Syrienne, elle dit « très bien » connaître « le sentiment de l’insécurité, de la peur, de la possibilité de perdre quelqu’un ».
Nada explique qu’elle craint à chaque instant de perdre un proche. Que les Français vivent la même horreur ? Elle ne peut pas l’imaginer. « Je refuse que quiconque se retrouve dans la même situation que la mienne et je suis sortie pour dire merci à tous les Français de nous avoir accueillis. Vous nous avez donné notre vie. Je me suis échappée de mon pays pour avoir la liberté et la sécurité. (…) Pour moi, nous sommes tous des humains et nous partageons la même souffrance, la même misère. On doit toujours exprimer cette solidarité. »
Des applaudissements un peu étonnés, puis rapidement fournis, éclatent. La solidarité alors jusqu’ici exprimée par un peuple pleurant ses propres morts se mue en une solidarité plus globale, plus généreuse aussi. Ce rassemblement n’est plus un simple appel pour une solidarité par trop occidentale et biaisée, mais une courageuse résistance contre la barbarie et l’inhumanité des actes terroristes commis à travers le monde.
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