Le samedi 13 janvier, 20 millions d’électeurs taïwanais se rendent  aux urnes pour déterminer le sort de leur pays, décidé par la figure du président et des députés, pour les quatre prochaines années. Le contexte avait rarement été aussi décisif. Pour reprendre les mots du magazine japonais Nikkei Asia, c’était plus que jamais un “moment de vérité”.

Trois camps principaux se confrontent : le Parti démocrate progressiste (PDP), le Kuomintang (KMT, parti natonaliste), et le Parti populaire taïwanais (PPT). Parmi les enjeux des campagnes, une question inévitable règne : quelle future/possible  relation avec la Chine, et quelle influence de cette dernière sur Taïwan ? Tandis que le KMT et le PPT sont  plus en faveur d’un rapprochement économique et politique avec Pékin, Lai Ching-Te, leader du PDP, défend  une souveraineté quasi-inviolable de Taïwan, notamment à l’égard de la Chine.

De droite à gauche, le Parti Démocrate progressiste, le Kuomintang, et le Parti populaire taïwanais

Daniel Bastard, journaliste spécialiste de la région, insiste  sur la question d’identité par rapport à l’élection de janvier, expliquant que la génération émergente serait le point de bascule. Et ce, pour d’autres enjeux que les relations avec la Chine, tels que le mariage pour tous et la hausse des prix de l’immobilier.

Tout de même, les tensions entre la Chine et Taïwan sont  à leur paroxysme ces derniers mois : certains médias ont déjà  évoqué le risque de guerre. En effet, depuis une décennie, le PDP au pouvoir a permis à l’île de se transformer en une grande économie aux valeurs occidentales – n’en déplaise à la Chine -, devenant notamment le centre de production de semi-conducteurs. Malgré les efforts de la présidente sortante Tsai Ing-wen pour maintenir le statu quo et une position modérée à l’égard de la Chine, n’encourageant ni réunification ni indépendance, les tensions actuelles trouvent leurs origines dans la reconnaissance du Consensus de 1992. Cet accord conclu entre Taipei et Pékin énonce que les deux territoires n’appartiennent qu’à une Chine

, sans préciser laquelle… Une ambiguïté utilisée aujourd’hui par la Chine afin de cristalliser leur négligence de ceux qui ne reconnaissent pas l’accord ; soit Taïwan.

Au moment des élections en janvier, l’enjeu est considérable, notamment avec le Kuomintang, qui reconnaît cet accord, et qui l’utilise lors des campagnes pour tenter de discréditer le PDP. Enfin, l’accusation du gouvernement taïwanais envers Pékin sur une ingérence électorale et des opérations de propagande sur les réseaux sociaux, accompagnées d’une pression militaire chinoise inquiétante, accroît d’autant plus les tensions lors des élections. Le 13 janvier 2024, le verdict des élections semble  plus serré que ces dernières années : Lai Ching-te du PDP sort  victorieux de l’élection présidentielle taïwanaise, avec 40,1 % des voix, devançant Hou You-yi du Kuomintang (33,5%), et Ko Wen-je du Parti populaire taïwanais (26,5%). 

Pourtant, l’issue de l’élection aurait pu être différente, si ces deux dernières formations avaient réussi à matérialiser leur candidature commune, qui avait été brouillonne et pleine de désaccords. En outre, au Parlement taïwanais, le Yuan législatif, composé de 113 sièges, le résultat est bien plus contrasté et plus équilibré entre le PDP et le KMT, ce dernier ayant remporté une majorité de 52 sièges contre 51 pour le Parti démocrate progressiste. Le résultat  est inédit dans l’histoire politique du pays, et constitue une réelle épreuve démocratique, non sans conséquences. Le Parti Populaire Taïwanais, qui obtient  8 sièges au Parlement, sera la force pivot du Parlement, et plus particulièrement le faiseur de roi dans de multiples décisions politiques et budgétaires.

Lai Ching-te, élu président de Taïwan

Marc Julienne, Directeur du Centre Asie de l’Ifri, explique qu’une des premières leçons que l’on peut tirer des élections, est la raisonnabilité de l’électorat taïwanais dans leur refus global de céder au populisme et aux manipulations étrangères, qui s’est traduit par l’élection de Lai Ching-te. Cependant on peut aussi supposer que la coexistence entre le Parlement aux couleurs du KMT et de l’exécutif aux couleurs du DPP entraînera des désaccords sur les politiques économiques, sociales, et étrangères – notamment envers la Chine.

Pékin n’a en tout cas pas manqué de réagir à l’élection du leader du PDP, l’accusant de vouloir promulguer l’indépendance officielle de l’île, et remettant en cause sa légitimité en critiquant son score inférieur à celui obtenu par Tsai Ing-wen lors des élections précédentes.


Joe Biden et Xi Jinping, présidents des Etats-unis et de la Chine

Sur le plan international, le résultat des élections rassure  de nombreuses démocraties dans le monde, constituant une victoire pour l’indépendance de Taïwan en termes de relations économiques, culturelles, et scientifiques. Les Etats-Unis, par l’intermédiaire de Joe Biden, affirment  sans surprise: “Nous ne soutenons pas l’indépendance,” même s’ils sont toujours alliés militaire et économique de l’île. 

Malgré tout, le 2 février dernier, les premières conséquences d’un Parlement partagé se font  ressentir avec l’élection de Han Kuo-yu, du Kuomintang, comme président du Parlement, ce dernier étant favorable à un rapprochement avec Pékin. Comme il avait été annoncé, c’est en partie grâce à l’influence du PPT, plus précisément l’abstention de ses huit députés, que sa victoire a été remportée. Cet avantage est symbolique, mais aussi tactique pour le KMT, car le président décide de l’agenda des débats, et en cas d’égalité peut faire basculer un vote.

De plus, alors que la Chine a clairement émis des critiques envers le nouveau président élu, les tensions territoriales ne cessent de s’exacerber. Le 19 février dernier, les gardes-côtes chinoises ont inspecté – de force – un bateau touristique taïwanais se dirigeant vers les îles de Kinmen. C’est la première fois que Pékin remet en cause le statu quo de 30 ans, à travers lequel Pékin n’exerce pas pleinement sa revendication de juridiction de jure de territoires taïwanais tels que Kinmen. Cette intervention chinoise marque un changement clair de position, ce qui ne fera qu’augmenter les frictions entre les deux pays.

L’île de Kinmen

Les élections de janvier 2024 à Taïwan ont été très probablement doublement lourdes de conséquences : d’abord, au niveau de la politique interne du pays (qui agit aussi sur la politique extérieure), le Parlement est divisé et fragmenté, dépendant d’une poignée de députés du PPT, ce qui annonce des désaccords certains sur les prochaines décisions politiques. Mais surtout, quand bien même l’exécutif taïwanais suivrait  la ligne politique de sa prédécesseure, celui-ci marque surtout une promesse d’un futur incertain au niveau des relations diplomatiques et militaires avec la Chine, qui risquent de s’envenimer dans les semaines et mois à venir.

 

SOURCES

 

https://www.courrierinternational.com/article/enjeux-l-identite-au-c-ur-de-l-election-presidentielle-a-taiwan

 

https://www.youtube.com/watch?v=zQ4inEmDjO4

 

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/election-de-lai-ching-te-a-taiwan-quel-impact-sur-la-relation-avec-pekin-988225.html

 

https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/lettre-centre-asie/elections-taiwan-victoire-de-blanc-seing-william

 

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/02/un-president-prochinois-elu-a-la-presidence-du-parlement-taiwanais_6214420_3210.html#

 

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/kinmen-laboratoire-de-la-strategie-chinoise-contre-taiwan-20240227

 

Sources des photos:

 

Photo 1: France 24

Photo 2 : Chine Magazine

Photo 3 : Wikipedia

Photo 4 : Wikipedia

Photo 5 : The Geopolitics

Photo 6 : IFRI

Photo 7 : Euronews

Photo 8 : RTBF

Photo 9 : Le Figaro

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